"La Malawia" : UNE MALADIE GRANITIQUE
BIENVENUE AU MALAWI !
Quand je me reveille, dehors, c’est l’Afrique. Il y a des gros nuages au dessus des rues terreuses, rouges. L’air est chaud et sec, des enfants jouent , un autre prend son bain dans une bassine. Au loin, la savanne à perte de vue.
Dans mes valises, peu de materiel d’escalade. Pour un trip bloc, c’est atypique, mais voici la raison : nous sommes venus tourner un film pour Adidas. L’intention n’est pas des moindres : rendre en image le potenciel bloc du Malawi. En soi, une operation osée car personne au sein de notre petite équipe n’est jamais venu.
Haroun, le producteur et réalisateur belge, est optimiste. Il a traqué le moindre bout de caillou sur un logiciel de photos satellite depuis un an, et échangé de bonnes dizaines de mails avec ses “informateurs” locaux. Scott , notre photographe sud africain, qui est aussi l’auteur du topo des Rocklands, a développé une bonne partie de ses secteurs. Il sait débusquer les belles lignes au milieu d’un chaos rocheux et nous sera d’une aide précieuse, il est impatient.
Mais ceux que le rocher de ce pays reste à convaincre et dont les doigts attendent le verdict sont les deux athlètes Adidas du team : notre Mélissa nationale et Benjamin Rueck, un grimpeur américain basé au Colorado, qui est plus un falaisiste qu'un bloqueur.
Quant à moi, avec une formation technique à la caméra et une expérience des grosses productions, j'aide Haroun à trimballer et installer nos 250 kilos de matos dans la brousse et à organiser les séquences à tourner. Parallèlement, je réalise un making off du film pour rendre compte de nos aventures, et montrer les anecdotes qui ont fait ce voyage, dont les initiales T.I.A. (This Is Africa!) résument en grande partie les drôles difficultés de cette expédition. Cette dernière aura pour conséquence de provoquer chez nous la “malawia”, cette maladie dérivée de la malaria, attrapée au contact du granite et de nos aventures, avec pour principal symptôme un retour au comportement primate incontrolé...
De l’avion, Lilongwe, la capitale, se perd dans la nuit. Pas étonnant pour un pays où 92% de la population n’a pas l’électricité. On a perdu mes bagages, et l’avion, avant Lilongwe, a atterrit aléatoirement en Zambie, le pays voisin. L’arrivée a le même goût de désarroi pour Haroun, qui doit payer des millions de kwatchas pour le fret du matériel vidéo et pour Ben, dont les bagages sont toujours en Éthiopie à l’heure de l’écriture de cet article.
J’ai du mal à comprendre Lilongwe. En la parcourant par la suite avec notre chauffeur, Haroun et Scott, on se rend vite compte qu’il n’y a pas de ville à proprement parler. Des zones, reliées les unes aux autres, aucune signalisation, aucun centre-ville. Entre les baraquements, un homme marche sur ses mains, il est cul de jatte. Des femmes rentrent des champs, elles sont pieds nus. Il nous faut des planches pour notre travelling, et c’est au milieu d’un dédalle, du flot constant, bruyant, poussiéreux de Lilongwe que nous trouvons nos menuisiers. Il faut passer à travers les vélos, les échoppes, les samossas, les paniers, les bidons, et les machines à coudre rutilantes derrière lesquelles se cachent les mains calleuses et les regards usés.
Nous partons pour Blantyre le soir du lendemain. Impossible de dire comment nous sommes arrivés ici et de retrouver la route si nous nous sommes trompés. Aucun panneau, l’unique solution est de demander régulièrement et de vérifier notre position auprès des checks-points tous les 50km.
Dès la sortie de la ville, des dômes rocheux surgissent de la savane. Les dômes prennent des formes de bulbe, de proues, ils sont gigantesques et abritent un village de huttes à leurs pieds. Un granite noir, solide, venant d’un autre âge. Personne n’a jamais vu ça.
La lumière est écarlate, çà et là des feux s’allument alors que la nuit tombe. Des silhouettes se pressent le long de l’unique et petite route nationale, et projettent leurs ombres fantomatiques dans les écrans de fumée. Il faut être sacrement attentif pour ne pas écraser un enfant qui joue, des chèvres, les vélos taxi, ou éviter une charrue pleine de canne à sucre alors qu’un autre véhicule avec les feux en panne arrive en face.
BLANTYRE ET LA COLLINE AUX PRIERES
A Blantyre, nous avons une journée d’attente pour les bagages de Ben alors nous explorons les alentours. Notre attention se dirige sur une colline au beau milieu de la ville. Quelques minutes suffisent pour se rendre compte de la qualité du granite. Rugueux, solide, de toutes les couleurs, avec de petites poches de cristaux affutés. On découvre un grand nombre de toits, de dalles, parfois dépourvus de prises: des arêtes parfaites résultant de la scission d’un rocher plus gros. La friction est juste incroyable, c’est comme grimper sur du crépi, et pour la température qui peut atteindre les 30 degrés au milieu de la journée, c'est parfait. Nous progressons sur des sentiers déjà existants. Plus nous montons et plus ce que j’interprétais comme des hurlements devient plus mélodieux. Les harmoniques des voix mélangées au hasard me donnent la chair de poule. Ici, des petits groupes de gens se retrouvent entre les blocs, prient, chantent avec ferveur autour de leur prophète, s’installent dans les recoins, utilisent les trous et les fissures comme autels et des dévers comme de véritables chapelles!
Nous ne grimperons pas ici, et même si les bagages de Ben ne sont toujours pas arrivés nous n’avons pas le temps dans notre planning de nous accorder une exploration de la colline aux prières... Direction la plus haute montagne du pays : Le Mont Mulanje.
MULANJE OU LA MONTAGNE DE GRANITE
Nous trouvons la piste qui contourne le massif au bout de 6h de route. Tout le long de la montagne, qui se dresse brutalement au milieu de la plaine, des plantations de thé vert fluo. Et puis soudain, l’air devient transparent et le massif apparaît dans sa majesté. C’est un dôme de granite de plusieurs kilomètres de long, au pied duquel on trouve une immense dalle de 150m de haut. Elle est surmontée de falaises comportant des failles de quelques mètres de largeur et des pics surgissent çà et là, jusqu’à 2000m d'altitude. Nous sommes du coté de “Chambe”, la face Ouest du massif. Ben commence à regretter de ne pas avoir amené son matos pour le trad. Au pied de cette même face, un champ infini de blocs. Il devient évident pour tout le monde de s'arrêter là, et non pas de continuer en altitude d'après notre programme initial.
Notre lodge est situé au bord d’une rivière. Nous sommes à moitié étonnés de voir qu’elle coule sur un gros chemin rocheux, faisant çà et là des piscines naturelles. Forcément, là encore, des blocs déposés par l’érosion au bord de l’eau. On ne sait plus où donner de la tête, et avant même d’explorer les blocs de la face de Chambe nous voilà à brosser les cailloux du bord de la rivière. Au détour du chemin, on croise des femmes portant des branches de plusieurs mètres de long sur leurs têtes. Elles l’échangeront au village comme bois de chauffage contre d'autres biens. Dans les piscines naturelles de la rivière, les gens lavent leur linge et se lavent eux-mêmes. Ils sont quelques-uns à dévisager Ben qui tape des essais dans son projet au-dessus de la rivière, mains pleines de savon contre mains pleines de magnésie. Le crux du problème se trouve en dévers, dans un grand mouvement dynamique, et se terminant sur une prise polie par l’eau. C crux ne lui permettra pas de finir le problème cette fois, mais au moins son unique t-shirt depuis une semaine sera lavé…! La malawia commence a faire son apparition.
Trois porteurs sont nécessaires pour charrier tout notre matos dans le champ de bloc de Chambe. Les crashs pad, caméras et trépieds sont les premiers du genre ici. La chaleur nous empêche de grimper au milieu de journée et c’est un moment pour parler avec nos porteurs, chanter des chansons avec les enfants qui nous suivent partout, faire faire du rappel à notre guide, partager des cacahuètes ou de la canne à sucre, ou alors leur apprendre des mouvements d’escalade. Mélissa passe un certain temps à expliquer comment arquer une prise à nos porteurs.
Ben ouvre un bloc en 7a que je qualifierai de solo de 15m le long d’une grande fissure. Le soleil tape fort, ça s’appellera Aziz Light. Mélissa s’attaque à un mur de 8m strié de nervures orange faisant face à la vallée avec 15 degrés de dévers, aux toutes petites prises. Le crux se trouve à 4m du sol et il s’agit d’être précis, surtout lorsque tout est prêt pour filmer avec la grue, et la lumière du couchant. Malheureusement nous nous trouvons à court de batterie et la première ascension n’est pas filmée à cause du déclencheur! Nous nous consultons à voix basse puis Haroun indique à Mélissa que les 6% de batterie restantes équivalent à 3 minutes de tournage ... il reste donc très peu de temps pour refaire la prise et tout le monde est tendu. Puis Mélissa s'élance une seconde fois, et se sera avec succès! Elle nommera son ouverture 3 min left.
Quand il faut redescendre au village pour rejoindre la voiture, des dizaines d’enfants qui nous ont regardé grimper et filmer toute la journée se joignent à nous. Les champs se remplissent de rires, de cris, de mots appris avec nous. Ils courent pieds nus, sautent de rocher en rocher à nos côtés, filent derrière les plants de haricots et hautes herbes. Nous nous enfonçons dans la nuit, alors que la nature résonne de plein de bruits. Les feux s’allument, le vent est doux et tiède : c’est l’Afrique qui respire doucement avant de s’endormir.
LE SÉMINAIRE DE MANGOCHI
Les enfants sont partout.
50% de la population au Malawi a moins de 15ans. Ils faut les occuper, ils sont tellement nombreux et curieux, surtout lorsqu’on installe la grue ou simplement la caméra dans un village. Parfois une trentaine se presse derrière l’écran de contrôle, prennent la pose devant la caméra. Je tente les grimaces, les chansons. Un jour, ils ont chanté la leur. En frappant des mains, leurs voix suffisent pour me donner envie de danser, là, dans la brousse, sous un rocher ou au milieu de la rue. Et on danse ensemble. Ils sont comme montés sur ressort et propulsent le rythme de l’univers en dehors d’eux- mêmes, dans un mouvement de tête ou des bras. Chaque mouvement est précautionneusement amené à son paroxysme. Nous atteignons ensemble une phase critique du monde relatif en 3 dimensions, il s’effondre même. C’est à cause de leur façon de bouger : elle est belle, électrique, chaude et contagieuse. Ma machine à bien-être tourne à plein régime. Je tremble encore en rejoignant mes compagnons, avec un sourire plus grand que moi, que j’ai du mal à maîtriser. Tous les jours de ce voyage pour ce jour, tous ces moments pour ce moment.
Nous donnons nos bouteilles d'eau vides, véritable trésor dans la campagne reculée où acheter un récipient est quasiment impossible. Et c’est le pugilat. Les enfants se précipitent sur les bouteilles, se battent et se roulent par terre. Ils sont des dizaines ici, orphelins du sida, seuls mais ensemble, agiles, durs, et déterminés.
Ici, à Mangochi, nous sommes logés au bord du lac. Ici, on peut rencontrer des crocodiles et des hippopotames si on se balade au bord de la berge, voir les pêcheurs rentrer le matin, et même des tarentules sur les murs de notre propre hutte. Le vent souffle dans les rideaux, on vit presque dehors, sous les palmiers.
Notre secteur de grimpe se trouve de l’autre côté du lac, après le pont de Magochi. Une colline surplombée de blocs plus impressionnants les uns que les autres, et la zone s’étend sur plusieurs kilomètres. Au pied de la colline, un séminaire de type colonial qui abrite une paroisse. Le bâtiment est vide et plein de lumière. Il est hanté par les frangipaniers et les eucalyptus, tout en arches et colonnades. C’est le point de départ contrasté avec la randonnée qui se cache derrière : une savane aux hautes herbes tranchantes partiellement brûlée, où les babouins, abeilles et serpents vivent tranquilles.
Nous nous précipitons sur les gigantesques masses sombres minérales. Tout le monde est excité, on parle même d’un nouveau Bischop. Le rocher est solide mais assez péteux, et d’ailleurs, bon nombre des réglettes sont le résultat de plaques tombées. Malheureusement, quasiment toutes ces prises se trouvent être à l’envers!
La friction est incroyable, tellement qu’en redescendant d’un bloc on peut se faire mal car nos pieds restés collés au rocher! Et c’est plutôt bien adapté car plus je regarde autour de moi et plus j’ai l’impression d’être dans le monde des dalles. L’explication de cette friction est tout simplement une roche très cristallisée, qui arrache la peau dès les premiers essais.
Le soleil nous écrase au milieu de la journée, les couleurs saturent, le vent souffle de la poussière sur nos figures et notre matos. Nous marchons vers le haut, tibubant dans la chaleur sous le poids de nos sacs, caméras, trépieds, crashs pad, quand ce n’est pas la grue, la dolly et ses trails. Évoluer dans ce décor c’est être Indiana Jones qui se fraie un chemin à coups de machette entre les arbres secs et les branches. C’est rester médusé devant les arbres qui poussent sur les blocs jusqu’a les recouvrir en entier de leurs racines, et je me pose la question lors d'un réta difficile sur The wild fig : vu que l'arbre fait partie du rocher, est ce que c'est tricher d'attraper une racine pour sortir ?
Je suis piquée par une abeille aussi grosse que le pouce, puis beaucoup d'entre nous se coupent les doigts sur les herbes tranchantes de la colline. Ben en fait les frais, et à cause de l'entaille de son index sur quelques centimètres de long et plusieurs millimètres de profondeur, il a bien peur d'être arrivé à la fin de son périple. Grâce aux effets de la malawia, c'est avec espoir qu'il se lance dans le développement d'une fissure sous un chaos de blocs. Nous passons de nombreuses heures à le soutenir dans cet amas de rocher filtrant la lumière, formant une magnifique grotte où ses cris de douleur résonnent. Ses mains sont en lambeaux mais au moins, il n'utilisera pas son index... Mélissa quant à elle, explore la colline et se retrouve nez à nez avec un empilement de bloc gigantesques qui offrent une petite face ronde sur l'un d'entre eux, avec de mini-arquées. Tout bas, je pense : “une dalle en dévers!”. Elle pille sur un mouvement très dur et très précis, pour attraper une petite dent. “C'est au moins un 8a+!” déclare t-elle en soufflant sur ses doigts blancs.
Puis vient le moment où le soleil devient plus doux. Les rayures orangées du rocher brillent. Çà et là, les babouins sortent la tête de derrière les blocs, s’assoient sur leur derrière, se grattent et se demandent, comme les habitants, ce que nous faisons ici. Ils observent Ben grimper une espèce d’oreille rocheuse noire et blanche, et reproduisent les gestes du grimpeur qui regardent leurs mains.
L’EXPLORATION EN CATAMARAN ET CONCLUSION
Puis vient la partie vacances de notre trip.
Le lac Malawi est une mer intérieure qui recouvre un tiers de ce pays en long, et il est bordé sur des milliers de kilomètres par des chaos de blocs de granite très grossier. L’accès est quasi-impossible par la terre, dans le bush dense des collines. La solution la plus rapide et aussi la plus sympatique : explorer en catamaran, avec des kayaks embarqués.
Notre capitaine nous emmène au plus près des rochers que nous repérons du pont, et Ben et Mélissa sortent les kayaks pour y observer les textures. Nous nous focalisons sur un trapèze massif de 30m de haut. Un énorme cube qui surgit le l’eau, aux faces superbement verticales. Il répond au nom de “Devil’s Rock”, car il a provoqué la mort d’une vingtaine de personnes lors d’un naufrage pendant la dernière tempête sur le lac. Mélissa fronce les sourcils à cette explication que fournit le guide. ”Est-ce un présage..?” semble t-elle penser.
Très peu de prises, et donc une ligne évidente d’une dizaine de mètres en deep water soloing le long d'une rampe. Mélissa plonge souvent, pas à cause de la difficulté, mais des araignées cachées dans les trous! Les mouvements sont très beaux, surtout en sortie de la rampe, pour aller chercher une petite réglette...qui casse dans la main de Mélissa! S'en est fini pour le projet, la prophétie s'annonce vraie, mais pas comme on l'aurait présagée, et les grimpeurs s'en iront avec leur petit naufrage à eux sur Devil's Rock.
Ces derniers jours sont agréables, le vent est doux, le soleil s’étale sur l’eau comme sur une tartine de miel. C’est nous, au milieu du grand lac Malawi, à l’heure d’un hiver chaud, quelque part en Afrique. Je repense aux endroits visités, à notre adaptation à la culture africaine, nos fous rires de la malawia, et toute la beauté par laquelle nous sommes passés. Je repense aux blocs ouverts, à notre regard qui a changé sur la façon d’explorer.
Car l'exploration s'apprend. Petit à petit, nous apprenons à ne plus chercher la ligne cinq étoiles toute cuite, du premier coup d’oeil. Ce n'est pas forcément en marchant pendant des kilomètres dans la brousse que cela arrive non plus. Le bloc de nos rêves n'apparaîtra pas devant nous. Il faut remettre de l'ordre dans notre rapport avec le lieu, envisager les dimensions infinies d'un secteur et surtout brosser les prises, se décoller du sol et tester les mouvements pour comprendre que le rocher devant lequel on passait tous les jours et en fait un bloc majeur, qui apparaîtra comme tel avec de nombreux passages futurs.
Le Malawi est un amoncellement de blocs, des milliers de secteurs plus étonnants les uns que les autres. Chaque secteur paraît plus énorme que le précèdent visité et il faudrait l’oeuvre de plusieurs vies pour nettoyer, défricher, développer ces endroits.
Il faut le temps.
Je voudrais presser ce temps, comme cet instant à bord du bateau, je voudrais le presser plus fort pour sortir le jus, pour le goûter encore, sentir le vent et voir les vagues à nouveau, mais il s’évapore avec le soleil qui descend, et me montre une fois de plus que le moment de l’extase est par définition insaisissable. Furtif, il n’existe dans le souvenir que décoloré et provoque le manque de l’infini, pour recommencer, encore, une nouvelle aventure.
INTERVIEW DE SCOTT NOY
Tu as développé une grande partie des Rocklands, quelle a été la différence avec le Malawi?
Je connais le caillou dans le Cederberg, et il est du coup très facile pour moi de repérer des choses intéressantes du premier coup d’oeil dans le grès sud-africain. Ici, je suis moins à l’aise parce que je ne suis pas un spécialiste du granite. Ce sont de grands blocs, avec beaucoup de cristaux, et pas mal de prises qui cassent après nettoyage, ce qui est très frustrant lorsqu’on trouve des superbes lignes. A Mangochi, il est possible de vouloir s’échauffer sur un bloc qu’on pense facile, le nettoyer, et puis il s’avère que la ligne choisie est en fait un problème bien dur. Jamais dans le sens inverse.
Tu penses que c’est spécifique à cet endroit?
C’est assez surprenant en effet, mais pour les prises qui cassent je pense que c’est spécifique au granite, comme par exemple lorsqu’on ouvre des blocs à Bischop, tout est assez fragile. Dans ce raisonnement je te parie qu’avant que ce secteur-là soit développé il y a dû avoir pas mal de nettoyage aussi. Sauf qu’une fois que la ligne a été répétée cent fois et nettoyée, elle a l’air plus belle.
Hier soir on avait un débat sur le fait qu’il était plus facile de trouver des blocs 5 étoiles dans du grès que du granite. Qu ‘est ce que t en penses?
Le granite et le grès sont deux types d’escalade. Le granite propose des blocs dont la forme, les couleurs, sont toujours surprenantes. On y voit donc souvent des lignes incroyables.
Par contre, le grès offre beaucoup plus de prises différentes, et donc une plus grande variétés de mouvements, c’est une grimpe plus ludique. Un bloc 5 étoiles est une combinaison des deux, et cela dépend seulement du potentiel du site.
Quel type de grimpe ici?
On ne trouve pas beaucoup de bacs. C’est de l’escalade sur réglettes. Il y a pas mal de dévers, de fissures, mais la dominante reste la dalle. Les rétas sont particulièrement difficiles parce que qu'on trouve rarement des prises en haut, et comme comme à Bleau, c’est plutôt rond. On trouve énormément de highballs, parfois les blocs atteignent 30m, et là il faudrait carrément ouvrir des voies…Il y a du très dur, et du facile. Je pense qu’on pourrait faire énormément de circuits bleus comme à Bleau, et ils seraient vraiment amusants.
Combien de temps il faudrait pour déveloper un secteur comme Mangochi?
Au moins un an. Il faudrait habiter ici. Nous avons exploré 5% du secteur derrière le séminaire et peut être développé 1%. Cet endroit est gigantesque, surement plus grand que les Rocklands.
Est-ce que tu penses que ça peut intéresser la communauté grimpe?
Bien sûr, l’endroit est dément. Mais celui qui vient ici doit s’attendre à une aventure. On ne vient pas au Malawi comme on irait à Fontainebleau : tout prend du temps, le billet est cher, il faut s’adapter au pays, à la mentalité, aux gens très curieux et aux enfants qui vous suivent partout, se prémunir contre la malaria, ne pas avoir peur des serpents, des araignées, des babouins, et savoir utiliser une machette dans les herbes tranchantes et nettoyer les blocs. Par exemple, les retours à la frontale sont prohibés, ici la nuit viennent les éléphants, les hyènes et les léopards.
Mais à la fois, l’expérience est énorme et la beauté de la nature nous a tous beaucoup marquée, ainsi que la gentillesse des gens.
Est ce que tu reviendrais?
Même si le potentiel bloc est incroyable, c’est surtout la grande voie qui mérite d’être développée ici. “Chambe face” sur le versant ouest du Mont Mulanje, est juste une invitation fantastique. Ce qui est sûr, c’est que ce voyage m’a donné envie de pousser l’exploration en Afrique. Il y a tellement à faire…!
À PART L’ESCALADE…
-Se baigner, faire de la plongée sous-marine ou faire du snorkelling dans le lac Malawi et sauter des blocs, si on n'a pas peur de la bilharziose.
-Faire un safari sur un bateau pour voir les hippopotames, les crocodiles, les oiseaux, les pêcheurs à la ligne et les éléphants.
-Prendre le rythme du soleil et des habitants et se lever tôt pour voir les pêcheurs partir sur le lac et rapiécer leurs filets, ou se balader dans les villages pendant que les femmes sont à la vaisselle à la pompe à eau, et qu’elles amènent par dizaine les casseroles, bassines, et sacs sur leur tête.
-Une rando dans le massif du Mont Mulanje, avec une nuit dans une hutte en altitude, sous les étoiles. Manger une pizza à la mangue, oignions et poulet curry en redescendant, au Mulanje Pepper.
-Assister au Porters Race, chaque année en juillet, à travers le massif du Mulanje.
-Ramener un masque coiffé d'une scène quotidienne de village, un jeu d'awalé ou des petites statuettes, le tout en bois, artisanat malawien.
PRATIQUE
Le Malawi se situe au sud-est de l’Afrique, un petit pays de 900km tout en long, donc le lac occupe le tiers. Il est coincé entre le Mozambique, la Tanzanie et la Zambie. L’Afrique du sud est juste en dessous. Il y a des aéroports à Lilongwe, Blantyre, et bientôt Mangochi. On conseille, s’il faut rester en ville, d’être à Blantyre ou Mangochi. Lilongwe est un vrai dédalle et il n'y a pas grand-chose à y faire. La route est en bon état, la circulation se fait à gauche et est plutôt chaotique. Il est très déconseillé de rouler de nuit, on peut vite faucher un enfant, une chèvre, une carriole tirée par un âne…
Une nuit en lodge coutera approximativement 15 euros par personne, et manger local reviendra à 3,5 euros pour un repas.
C’est l’hémisphère sud et donc l’hiver est en juillet-août, avec des températures oscillant entre 10 et 30 degrés. C’est une zone à risque pour le palud. On y parle pratiquement partout l’anglais, le pays étant une ancienne colonie britannique, mais aussi le chechewa, la langue du peuple chewa. Joyce Banda, la seule femme présidente en Afrique, est au pouvoir depuis 6 ans. Pour la monnaie, c’est le kwatcha, et 350 kwatcha équivalent à 1 euro. Il faut s’habituer à ne pas comparer l’apparence des gens, des magasins, des rues, avec ce que nous avons chez nous. Au premier abord on dirait l’entrée d’un immeuble défraîchi, c’est en fait un supermarché...
Pour regarder le film “The warm Heart of Africa”, de Haroun Souirji, sponsorisé par Adidas, avec Mélissa LeNevé et Benjamin Rueck, il faut aller sur le
viméo de Vast Motion Pictures (Haroun Souirji).
Ainsi que le making-off du film avec de la grimpe, mais surtout les nombreuses anecdotes africaines qui se sont produites lors de cette aventure, réalisé par l'auteure de cet article, Julie Guignier, sur le YouTube d'Adidas Outdoor.
LOS GRINGOS EN PENOLES!
«Aux gringos, la poudre, je la vends par tonne... J'ai des ranchs, des femmes et de l'or... » Voici un extrait de la chanson Oneladas de polvo, d’El Cejas et sa bande. Ce genre de tube (Narcocorredo) vient d'être interdit à la diffusion dans la région du Nord du Mexique où nous nous trouvons, pour ne pas faire des barons de la drogue des idoles locales. Mais ici, les narcotrafiquants ont leur propre saint vers qui prier, et Pancho Villa, originaire de Ciudad Juarez, hors-la-loi devenu général de l'armée fédérale au cours de la révolution mexicaine en 1910, est une vraie légende. Durant l’une de ses cavales, il planqua son sombrero à l’ombre d’étranges boules de granite, dans les caves et les corridors d’une montagne creuse qui avait déjà été habitée avant lui, et qui le sera encore après.
L'air est transparent et la lumière explose dans un ciel bleu fluo.
Nous sommes à Peñoles, dans le désert de Chihuahua, à 300 km au sud de la ville du même nom.
Peñoles, ce n'est pas une ville, ni même un village. C'est un tas de cailloux à plusieurs kilomètres à l'Est d'un pâté de maisons isolé dans le désert. Depuis une grosse dizaine d’année, une poignée de grimpeurs mexicains s'évertuent à transformer cet endroit en un vrai site de bloc. C'est un oasis de pierre au milieu de la plaine aride. Cactus, ronces meurtrières, griffes et dents. Des espaces infinis, jaunes, et au loin, quelques montagnes mauves qui se déposent sur l'horizon. Le silence dans le désert est assourdissant et étouffe les cris des bloqueurs, çà et là. C'est comme le soleil, ici il cuit tout sur son passage, dans un air paradoxalement frais.
Il y a quelques siècles, une ethnie appelée les Tobosos vécurent dans les caves sous les chaos de blocs, et y laissèrent des traces peintes dans les dévers. A l’image d’une autre montagne 700 kilomètres au nord. Ce paysage et cette histoire nous transportent directement au Texas, et certains appellent même Peñoles « le Hueco Tanks mexicain ». Dans l'histoire géologique du parc des États-Unis, une masse de magma souterraine est remontée, et la roche en fusion s'est moulée dans une couche de calcaire. Après des milliers d'années le vent et l'eau ont érodé ce calcaire, exposant et sculptant les incroyables formes des blocs de Hueco. Le même phénomène se retrouve ici, à 600 km au sud, dans des rochers de granite rouges, jaunes, et noirs. Cependant, pour l'escalade, les ressemblances s’arrêtent là. Les formes et la taille massive des rochers sont bien différentes de celle du parc américain. Le highball flirte avec le solo, et certains blocs attendent tout simplement un équipeur pour proposer des couennes voire des grandes voies. La grande majorité de la dizaine de millier de blocs est arrondie, patatoïde, proposant donc quasi systématiquement des départs déversant et des sorties en dalles, dans l’esprit des Buttermilks à Bishop.
Ici le temps a formé une patine sur les faces à l’ombre, qui se craquèle comme de l’argile sèche en énormes plaques, laissant apparaitre des réglettes, des bidoigts et quelques monos. Ces bijoux sont généreusement éparpillés dans les nombreuses vallées ombragées du massif, et autour, au niveau du sol. Pour chacune de ces faces ombragées, on trouve trois face au soleil, dans une roche très abrasive et parfois péteuse, qui demande un sérieux travail d’ouverture.
La tendance ici est plutôt à l’élitisme : La majorité des faces rouges de qualité comportent des lignes ou des problèmes dans le 7ème et le 8ème degré, et le facile déroule plutôt dans la roche jaune. Cependant, dans les 600 problèmes déjà répertoriés par les locaux, une partie fait mentir la tendance, et une estimation collective au pifomètre a statué que Peñoles serait dans quelques décennies un site d’environ 5000 problèmes. Avis aux baroudeurs, il y a des ouvertures à faire !
Ce qui frappe le plus en arrivant est l’absence de toute infrastructure touristique, de tout aménagement pour aider les grimpeurs à rester sur place : Peñoles est « into the wild ».
Ici on est en dehors du temps, le temps de reprendre le temps.
On vit au rythme de la lumière, du jour et de la nuit, du bois pour le feu et des tortillas à retourner. Pas d'eau courante, pas d'électricité, pas de bâtiments en dur à plusieurs kilomètres à la ronde. Un trip bloc qui a des allures d'expédition où il faut prévoir de vivre en autonomie et un duvet chaud pour les nuits très froides (Entre 0° et -5°). On mange des avocats, des barres de céréales, et le fromage acheté au pueblo d'à côté, lorsqu'une mission « civilisation » est lancée et que quelqu'un se décide à prendre une douche. On plante sa tente où on veut, et le soir on visite ses voisins, notamment Diego, de bon conseil aussi bien pour cuire vos tortillas parfaitement que pour vous aider à découvrir les 30 secteurs immenses du site.
Diego Lopez Montull est le prince de Peñoles avec ses 31 ans, son mètre 87 et un grand sourire orné de dreadlocks. Il sillonne ce tas de cailloux depuis 13 ans, développant de nouveaux secteurs, se baladant dans les chaos pour trouver des lignes, passant ses jours de repos à défricher des chemins à la machette et à brosser ce qui deviendront les premiers 8B et 8B+ Latino-Américains. Il est le meilleurs grimpeur Mexicain des dernières décennies, il a écumé l’Europe de long en large, et vous avez surement vu sa tête dans Dosage vol.3 sans le savoir. Depuis notre dernier séjour il y a un an, Diego a continué à transformer cet endroit en un futur site majeur. Un topo est en cours d’écriture par Sergio Amada, dit « Tiny », et chaque nouveau bloc répété et soigneusement répertorié, avec son nom écrit sur une pierre à son pied.
Ici, ouvrir un bloc représente un peu plus de travail que brosser quelques prises avec de la magnésie et lever les bras en criant une fois arrivé au sommet. Une fois passé l’étape périlleuse qui consiste à sélectionner votre future ouverture sans perdre votre sang dans des buissons d’épineux ni marcher sur un crotale de la taille de votre jambe, il est de bon ton de faire en sorte que les répétiteurs ne perdent pas la vie en tentant d’obtenir la très convoitée première répétition. Pour cela, vous veillerez à passer au fil de la machette tout arbuste, cactus situé dans la zone de réception, à terrasser celle-ci de la manière la plus horizontale possible tout en dégageant tous les cailloux et rochers l’encombrant. Il vous faudra ensuite arrimer votre corde à ce qui est disponible au dos de votre bloc (attention les enfants, faites toujours vérifier votre ancrage par un adulte licencié à la FFME) et à trouver le moyen de vous suspendre au sommet de votre ligne convoitée. Si vous êtes toujours en vie à cette étape, bravo ! Vous pouvez passer à la vérification et au nettoyage de chaque prise à portée de main de votre problème. Pour cela, donnez de grands coups de pieds dans les écailles douteuses, tirez dessus de tout votre poids, bref, soyez sauvage. Il serait en effet regrettable que vous ou l’un de vos comparses grimpeurs arrache le bac final en se rétablissant à 11 mètres du sol, alors même que le pareur était en train de mettre ses chaussons affalé sur les pads… Blague à part, l’ouvreur porte la responsabilité de son ouverture, et à Peñoles beaucoup de chutes peuvent être sérieuses, avec un accès difficile à l’hôpital le plus proche.
Après le voyage avec Nalle Hukktaival de l’an dernier, la venue de Daniel Woods, Dave Graham, Jimmy Webb, Paul Robinson et Shawn Raboutou (le grand fils de Didier Raboutou et Robyn Erbesfield) sonne un peu comme une inauguration officielle. Tous sont venus pour trois semaines depuis Boulder (Colorado) afin de voir par eux-mêmes si l’endroit est à la hauteur de sa réputation. Et pour écrire les premières pages de sa légende. Jimmy passera son tour sur les jours de repos au profit de sessions d’explorations inhumaines, découvrant même un secteur inconnu de Diego. Il empoche au passage la première répétition de Zugzwang, un test absolu de coordination ouvert par Nalle. Dave mettra son immense expérience (plus d’un millier de blocs dans le 8ème degré ouverts) au profit des projets existants, trouvant les méthodes là où il n’y en avait pas encore. Daniel stupéfiera son monde par des démonstrations de force quotidiennes, faite sans aucune grosse tête. Il tape des essais dans des 8C+ comme votre petite cousine dans un 6A, flashe du 8B à l’échauffement, ou pour se « détendre » après avoir ouvert le premier 8C Latino-Américain. Il enchaine deux 8B+ en l’espace de 2 heures. Si ces chiffres sont vides de sens, l’important est de retenir que tous les gens ayant assistés à l’une de ces performances ont été persuadés d’avoir devant eux le grimpeur le plus puissant de l’histoire de notre sport, un extra-terrestre en blocage et en tenue de prise.
Les locaux ont été ravis de voir que leur bébé commence à attirer de grands noms, et l’attention médiatique (ce voyage a été documenté par 5 vidéastes qui produiront une série de 6 épisodes sur internet, affaire à suivre). Ils sont d’autant plus ravis que leurs visiteurs américains aient apprécié la vie dans le désert, et ont su prendre soin du lieu. Les gens viennent à Peñoles en autonomie, pour y vivre un mois ou deux. Personne ne ramassera vos déchets à votre place, personne ne sera là pour vous dire de ne pas couper tel ou tel vieil arbre. Etre responsable et soigneux est primordial dans cette phase de naissance du site ; ce sont les premières pierres sur lesquelles viendront se construire la suite.
Il devient évident à ce point de notre récit que Peñoles est assez loin de la « grimpe-loisir » tel qu’il est possible de la pratiquer à Fontainebleau, en Suisse ou dans les Rocklands. Encore plus loin peut être de son voisin de Hueco Tanks, empêtré dans ses règlementations, ses barrières et ses visites guidées. Aller là-bas dans les années qui viennent, c’est accepter de mettre son confort entre parenthèse pour écrire une page de l’histoire de notre sport. C’est travailler dur pour mettre en forme un secteur qui sera regardé dans quelques décennies comme l’endroit qui a poussé notre sport en avant. Grande déclaration vide de sens ? Peut-être, mais dans les trois semaines que les 4 plus forts bloqueurs au monde ont passé à arpenter Peñoles, ils ont ajouté une quinzaine de nouvelles lignes entre 7C et 8C au topo.
Toutes évidentes, magnifiques, hautes et déroulant dans du bon rocher. Et Diego pour nous rappeler que malgré les dizaines d’heures à fouiller, nous sommes très loin d’avoir tout vu…
Pratique
Le site de Penoles se situe dans le désert de Chihuahua, à 1600 m d’altitude, dans la partie Nord du Mexique. C’est au sud de la ville de Chihuahua, entre Hidalgo Del Parral et Jimenez, à l’Est du village d’Iturralde. Le désert est sec et froid en hiver et c’est la meilleure période pour grimper, entre Novembre et Février. On conseille de venir en avion directement à Chihuahua et de louer une voiture à l’aéroport car Mexico city se trouve beaucoup trop loin (quelques 13 heures de route !) On peut acheter des crashs pads locaux « Cyrus » à Mexico city et les faire livrer à Hidalgo, pour ne pas se les trimballer dans l’avion. Prendre contact sur Facebook avec « Cyrus Crash pads ». Ils sont de très bonne qualité et bien pratiques (90€ taille normale, 140€ le grand). Prévoir une machette pour défricher les buissons, des gants et des vêtements pour évoluer dans les ronces et pour cuisiner au feu, une petite vaisselle de camping, des lingettes pour se nettoyer et surtout de quoi stocker de l’eau en grande quantité. Pour acheter à manger et le matos de camping manquant, une grande surface (Le Wall Mart de Parral). Les petits ravitaillements en fromage, tortilla, avocats et eau peuvent se faire à Iturralde, le village à 20 minutes de voiture du site. C’est aussi là qu’on peut prendre une douche chez l’habitant pour 40 pesos (1 euro = 18 pesos). Rester discret dans les villages du coin pour ne pas avoir de problèmes avec les narcotrafiquants qui veillent à faire respecter l’ordre sur leur territoire !
La « situation narco » est stable depuis quelques années. La présence des grimpeurs est plutôt bien vue, car cela représente une rentrée d’argent pour les villageois pauvres de la région, cependant la meilleure garantie de sécurité est une conduite irréprochable dans les villages et aves les locaux. Et éventuellement ranger les appareils photos lorsqu’un 4x4 noir à vitre teintée passe à côté de vous…
A proximité, Cooper canyon.
Il serait impossible de répertorier les centaines de choses à faire et à voir au Mexique. Le pays fait 2 millions de km2 et couvre toutes sortes de climats, de cultures et de paysages. On trouvera des plages tropicales sur la côte Caraïbe, des volcans et des montagnes culminant jusqu’à 5600m, en passant par des jungles luxuriantes et des villes modernes et gigantesques. Si l’on prévoit un long séjour et qu’on a le temps de prendre l’avion ou les confortables bus mexicains, alors on vous recommande fermement d’aller faire un tour dans ce pays magnifique !
Si par contre le but est de rester dans la région, pour les irréductibles de la grimpe qui veulent s’essayer à la grande voie mexicaine, il y a El barranca del Cobre (Le canyon du cuivre ou Cooper Canyon), cette incroyable formation divisée en sept canyons principaux, qui couvre une région quatre fois plus vaste que le grand canyon en Arizona. Par endroits, ils sont même plus profonds que ce dernier (jusqu’à plus de 1800m) ! Ils ont été creusés dans la roche volcanique de la Sierra Madre, par des mouvements tectoniques et par les rivières. Des fruits tropicaux poussent dans les profondeurs tandis que les hauteurs sont couvertes de végétation alpine et sont souvent enneigées en hiver. A part la grande voie et le terrain d’av’ qui déroule dans une roche volcanique spectaculaire, on peut y faire des descentes en tyrolienne, randonner, y faire du cheval ou du VTT. Le clou du spectacle est de circuler dans le canyon à bord du Ferrocarril Chihuahua Pacifico, ce train légendaire surnommé « El Chepe » qui suit un trajet à couper le souffle sur 656 km entre Los Mochis, près de la côte ouest, et Chihuahua, sur le plateau central avec donc une différence de dénivelé de 2400 m.
La série "Viva penoles", sur Epic TV, filmée en partie par les auteurs de cet article :
"La grande aventure blanche ",
JOURNAL DE BORD DE REQUINS ET DE LUMIERE D AFRIQUE DU SUD.
10 Mai 2011, premières impressions blanches et raçistes.
Il me reste tous mes membres, en particuliers les doigts. Oui, je suis entière et en parfaite santé.
Je suis partie pour deux mois en Afrique du Sud, non loin du Cap, à Kleeinbaai. Je vais réaliser des films promotionnels au dessus et au dessous de l ‘eau, avec les grands requins blancs.
White Shark Projects fait du "cage dive". Ils prennent des gens qui payent 150 dollards la sortie, les mettent dans des cages accrochées au bateau, dans une eau à 10 degres, et leur disent d aller sous l'eau lorsqu un requin approche. Sinon ils proposent leurs services aux "marine biologists" de la region pour qu ils prennent des photos et taggent les requins, ca, c est la partie interessante.
La compagnie possede en son sein des "volunteers" qui payent aussi pour venir aider et faire les tâches les plus pénibles (incroyable!) , et loger tous ensemble (avec moi aussi !) dans une maison acollée au garage qui sert de séchoir a combis et de reservoir à tête de thon pourries pour appater les requins.
Kleinbaai ça pue. Ça pue le poisson et le kelp, ces grandes algues de 50m de long, échoués sur la berge.
Mais le paysage est vaste, lisse, pur. J ai des impressions de Norvège, de lumière de fin du monde, toute douce et froide. C'est vide aussi.
Beaucoup de villas abandonnées l'hiver, donc Juillet/Aout pour ce coté du globe, à Kleinbaai.
Parce que non loin de là, il y a Masakhane, faite de tôle, et Bloompark, respectivement le coin des noirs et le coin des métis. Oui, l'appartheid c est fini depuis 1994, sauf que c est ya pas longtemps et que rien n a vraiment changé dans la pratique. Les gens de couleur différentes travaillent souvent ensemble, comme c est le cas à White shark projects, mais ne vivent pas ensemble. Le patron avec son blackberry, son 4x4 et sa maison a deux étage avec domestiques sert tous les jours la main de employé métis à la réception et de son employé noir sur le bateau, qui habite dans une case de tole de 10m2, sans eau courante et sans électricité.
Les plus virulents racontent des legendes pour se faire peur entre communautés, histoire de rester encore plus loin les uns des autres. Ils sont séparés, sous le même ciel. Exactement comme les Afrikaaners (descendants des premiers colons hollandais) l'avaient prévu : parquer, numéroter, étiqueter, délimiter, tout ce qui est noir et tout ce qui est blanc.
Je me suis faite ramener en stop par un Afrikaaner tout rose, dégoulinant de solitude, de haine. « Reste prudente, te balade pas comme ça toute seule sur la route. Ici il y a les poachers, les pecheurs d’ormeaux noirs. Ils croient qu’en violant une blanche ils guériront du sida. » Il se fait de plus en plus tactile et je commence à me sentir bien plus en sécurité dans n importe quel township noir que dans la voiture de ce porc. Je déguerpis vite.
17 Mai 2011, couleurs de la baie et des requins.
Il est 6h du mat. Il fait nuit et on enfile nos vêtements humides et poisseux de la veille.
Les volontaires se pressent dans le garage, empillent combis, gilets, têtes de thons congelées puis vont laver et préparer le bateau.
Lorsqu on sort du port les premieres lumieres du jour pointent. Des lueurs pastels par ci par là, et la mer prend prend toutes les nuances de gris, de blanc, d argent et de nacre. Elle hésite entre transparence et refleter le ciel, et au fond, la chaine du Drakensberg, bleue, lisse, pure, me souligne les yeux au khôl.
Ya des milliers d oiseaux marins qui volent au raz de l eau en ligne paralleles devant le bateau. Des taches noires et propres dans cette immense baie blanche.
Les touristes , engoncés dans leur life jacket oranges aux couleurs de la compagnie se serrent les uns contre les autres. Une nageoire géante au loin. Julia crie : "Bright whale, just in front of us guys!" et tout le monde se jette sur le pont. Dyer Island en vue, on se prépare a jetter les 150m de bout servant à mouiller le bateau dans la baie et les volontaires se mettent à préparer le chum bucket, ce joli assortiment de patée pour requin à base de viscères de chien mort, l'huile de poisson pourrie et de vrais morceaux de tête de thon écrasées. Le tout arrosé d eau de mer. C’est le « chum bucket »
Et puis cette forme massive sous la surface qui vient effleurer le bateau. C est une grosse boite à manger en forme de tube de dentifrice géant (de 3 à 5m de long) C est gracieux et diabolique à la fois. C est con et tres intelligent. C est farceur et cruel. On dirait que ce n'est qu une bouche beante. On dirait que ce n est que des dents. C est lisse, et gris, et blanc.
Inlassablement l'équipe lance la ligne de tête de thon. Et les touristes mangent des sucettes et des chips, et s'écrient "oh my god, oh, its FAN-TAS-TIC!"
La cage m'attire de moins en moins, l'eau est froide et on est secoués comme des sardines dans leur boite. Le caisson se cogne de partout, et puis tant pis, maintenant je sors les mains de la cage parce que c est beaucoup trop compliqué sinon. Et puis les requins sont tranquilles, c’est pas des betes assoifées de sang. Toujours impressionnantes, certes, et oui il faut faire attention. Ils me fascinent et me répugnent. Rapides, silencieux, mysterieux. Lignes pures et bouche béante, entrailles de poisson préhistorique, dents roses.
Chacun a sa personnalité, sa facon d'approcher ou de se montrer. Il m’arrive de les comparer à des chiens, parfois. Tous excités, curieux, ils viennent se frotter contre les pales des hélices, mordiller la cage pour comprendre qu’est ce que c’est. Ca se mange?
En fait le réel danger pour les humains est de se retrouver en surface, comme une proie potencielle, ou un objet éveillant sa curiosité, une otarie ou un surfeur, qui, vu d en dessous, ressemble malheuresement à une tortue. Il vient, « regarde » avec ses dents, et puis non, recrache. L’humain c’est pas bon, ya pas assez de graisse. Sauf que pour sa petite expérimentation, il aura arraché un bras ou mordu ans la moitié de votre abdomen…
Le « feeding », (appâter les requins pour les montrer aux touristes, avec une tête de thon) a vraiment mauvaise réputation. Beaucoup pensent que l’activité rapproche anormalement les rapports des requins avec les humains et les incite à les manger tous crus, en fesant l’amalgame entre une tête de thon et votre beau-frère. Forcèment, après avoir balancé des litres de chum bucket, il est plutot préférable de ne avoir envie d’aller se baigner : les requins sont excités, et prêts à mordre n’importe quoi jusqu'à ce que ça puisse se manger. Deuxièmement, accuser le feeding de créer des accidents est mal fondé : les requins ne sont pas sédentaires. Chaque jour nous en voyons des quinzaines de différents. Rares sont ceux que l’on recroise. Certains requins taggés en afrique du sud ont été retrouvé en australie, et en sont même revenus! Pour l’instant il est difficile de comprendre les motivations de leurs déplacements, et ça m’étonnerait qu’ils reviennent en masse dans la baie de Gaansbaai, se souvenant qu’un excellent leurre de tête de thon leurs a été présenté à cet endroit sans qu’il puissent mordre dedans…
Pour un photographe, chopper le bon moment où il chasse une otarie, bondit hors de l eau ou montre ses dents releve du miracle. Des heures d attente, la nausée, et quelques images potables. Frustrant et fastidieux...Étant donné que la patience est pas ma premiere qualité, ce sont des journées qui ressemblent a des défis pour moi.
La houle est énorme, le kelp luise sous le soleil le matin et parfois la brume-gelée- nous entoure.
Dans la journée il fait gris et on ne sait définitivement pas quelle heure il est. Ni quelle saison.
Une fois, une bande de trente dauphins joue pas loin. Une autre fois, des otaries viennent longer le bateau, lancées comme des balles en lignes parfaitement parallèles. Des avions de chasse pour la parade du 14 juillet qui laissent des traces d 'écumes et sautent les unes sur les autres.
Mes yeux sont remplacés par le capteur de ma camera et desfois je sais plus vraiment comment on fait dans la vie si on est pas derriere un objectif.
Ca me demange quand meme de voir du pays. Cest grand l'afrique du sud, et Kleinbaai est petite...
Les étoiles ici sont pas toutes les mêmes.
22 Mai 2011, quotidien immobile par mauvais temps.
Ici il y a des pecheurs de nacre, d’ormeaux. C est illegal et dangereux. Ils habitent le township a coté et ya plein de rumeurs sur eux, tout le monde les redoute. Ici, c est eux le grand mechant loup. Ils nagent 3 km la nuit dans une eau infestée de requins blancs jusqu a Dyer Island. Là, ils plongent en apnée par 15 m de fond recuperer les coquillages.
Les gens sont fous.
Les gens sont pauvres.
Kleinbaai est vide et propre, le temps immobile. Quand on joue au foot dans la rue, ça résonne. Je sais pas vraiment si je suis en enfer ou au paradis, entre les deux il doit y avoir un apres midi interminable.
Le vent souffle dehors et ya tout qui tremble. Je suis à l’autre bout de la planête et le mouvement s,est arrêté, le temps pose pour moi. Ma réalité englobée dans une boule de conton froide, j’arrête de penser. Douce étrangeté du présent.
Le vent souffle encore et je suis maintenant à l’autre bout de l’univers. Mes bottes clapotent dns la marée basse. J’ai les mains refroidies et pleines de coquillages. Ils sont recouverts de concressions de toutes les couleurs, certains sont éventrés, laissant apparaître leur intérieur nacré. Leurs entrechocs entre mes doigts est comme le clapot de mon enfance, dans cette étrange clarté du soir. Il ne fait ni jour ni nuit et les nuages défilent en fast forward dans un ciel sans couleur. Les bastinguages des bateaux sifflent. J’ai du mal à définir les contours dans la pénombre.
Personne. Encore. Toujours.
Il y a des lumières allumées dans quelques maisons mais le vent souffle toujours.
Je suis pas loin de l’Antarctique, une scientifique isolée dans une station météo, ou alors je suis en orbite, et je rêve que je rêve.
Le temps passe et les gens se rapprochent.
D abord il y a Julia, la grande anglaise blonde a qui je dois tout. Elle filme les gens sur le bateau, coordonne mon planning, et les envies des boss pour que puisse rendre un produit pertinent.
Ya Renee, la boss qui ne sait jamais ce qu elle veut et qui semble vraiment m apprecier, au point ou elle voudrait que je reste pour toujours faire des spots de pub sur les activités de la region en bonus...
Ya Abraham, le secrétaire métis et gay qui appelle les clients "honey", qui amene tous les matins des muffins qu il fait lui meme.
Ya Franck, le jeune sud africain "marine biologist" qui qui partage la vision derriere un appareil photo. Il est en charge des volontaires et ne les métrise pas trop, on s amuse beaucoup a lui rendre la vie dure.
Ya Bee, Mandla et Maoli, les mousses noirs qui ont une unique chanson des années 80 qui passe en boucle sur leur portable. Mandla essaie de m apprendre le vocabulaire marin et anglais et en xhosa.
Et puis ya Phil, un ptit volontaire anglais de 19 ans, qui semble toujours avoir vécu ici, qui ne partira jamais et qui passe son temps en combi. Maintenant que tous les volontaires sont partis on a notre petit foyer a deux, toujours pas assez grand pour toutes ses affaires. Je passe mon temps a lui hurler dessus pour qu il ramasse par exemple sa combi mouillée et sa raquette de tennis au milieu de la cuisine depuis 3 jours, ou qu il arrete de jouer au foot dans la piece ou je travaille jusqu a 2 heures du matin. Mais nos folies concordent bien lorsqu on cuisine des livres, surfe le bateau a son point le plus haut, casse du sucre sur le dos des clients, ou lorsqu on s envoie des chaises dessus et qu on se bat dans les taxis.
Les prochains jours s annoncent vides, pas de sortie en mer. Heuresement ya Phil, qui partage l envie de rencontrer des gens a Masakhani, le township d a coté, de voir un peu de vie, sortir de cette ville fantôme, et de grimper des montagnes.
Sinon mon challenge est de finir le boulot le plus vite possible pour aller faire un tour vers cape town des que je peux.
Ca devient de plus en plus difficile etant donné que chopper une baleine c est rare, et que mon systeme de barre vissable sur mon caisson est toujours pas au point.
J ai 200 fichiers vidéo d ailerons et de têtes de thon a trier tous les soirs...
Le temps s etire entre ennui, silence et grandiose.
On en reparlera...
30 Mai 2011, reflets du bout de la journée, reflets du bout du monde.
J’ai l impression d avoir toujours vécu ici, Kleinbaai est un mouchoir de chloroforme qui nous a endormis depuis notre ancienne vie.
Même si l on est pas venus pour ça, Phil et moi sommes devenus des habitants de Kleinbaai, ainsi que des membres officiels de l’équipe de Whites Shark Projects. Il me restait quelques images a capturer du coup j'étais beaucoup plus présente sur le bateau. Notre quotidien est devenu rugueux et simple, entre les caisses de têtes de thon, des combis a laver et a faire sècher dans le jardin, l’ancre et les 150m de bout a remonter, les requins a annonter et reconnaître pour le database. On était loin de l ambiance colo qui regnait dans la maison quand il y avait tous les volontaires, mais le temps prend un autre gout, plus vrai. Vu qu on a trouvé les clefs du pick up de la compagnie, on le sortait de temps en temps sans que personne ne le sache, pour aller voir le coucher de soleil a DeKeldes, regarder le rugby au pub (veritable institution ici) ou se manger une pizza a la banane a Gaansbaai.
Et puis une fois, on a laissé le pick up au bord de la route, entre Gaansbaai et Hermanus. On a marché dans le bush, en direction du soleil, qui met des plombes a se coucher. La lumiere rase la vegetation basse et teinte le tout de sepia. C est une fin d après midi d hiver en Afrique. Je remonte mon col. Chaque detail s offre a la vue dans cet open space en pain d’épice. Et puis on les apercoit. Des elands, les plus grosses gazelles au monde, mesurant 1m80 au garro. On compte 25 bêtes, et on les perd et les retrouve entre chaque colline. Les males emettent des clics quand ils marchent avec leurs genoux. Phil me fait des signes d indiens silencieux, et pendant une heure, on va courir et se plaquer contre le sol entre chaque relief pour mieux les observer. A voix basse il essaie de me dire en francais combien ils sont fucking grands, je lui répond en anglais les premiers mots que je trouve, c est trop beau. Ma tête explose : oui, je suis bel et bien en Afrique, et j avais pas remarqué. Je peux pas dénombrer les magnifiques images de cette après midi là, des silouhetes des elands sur la crete au soleil couchant, des montagnes qui s entrechoquent au loin dans le mauve, de toutes les epiphanies de lumiere de l extreme sud de la planete, qui ont rendez vous devant nous ce soir la.
Le pick up nous servira aussi a rendre visite à Moos, le chauffeur de WSProjects, qui habite a BloomPark (le coin des metis) et a Mandla et Bee, les marins, à Masakhani (le coin des noirs).
Moos nous invite a venir voir le match de rugby opposant Gaansbaai et Wellington, dans le stade miteux de Bloompark. Toutes les couleurs et les langues sont présentes, les bierres et les saucisses sont echangees entre differentes strates de la societe autour du feu, et tout le monde hurle et klaxonne en meme temps. Il fait froid cet apres midi là, l hiver s installe et la chaleur des humains me fait du bien, c est un temps de moins hors de la lugubre Kleinbaai. Je reste heberluée de l ecart qui existe entre les gens, et on se demande combien de temps il faudra encore pour que les barrieres tombent et que les humains osent se parler, et vivre ensemble. La nation arc en ciel de Nelson Mandela existe, chez ceux dont le coeur est ouvert.
C est un scandale quand on parle aux Afrikaaners qu on se rend regulierement hors de Kleinbaai, dans les quartiers “mal famés”. Ils ne savent pas ce qu ils perdent. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante en AfdSud que la bas. Les enfants se jettent sur nous pour nous faire des calins a Masakhani. Je souleve le couvercle d un ragout de mouton qui bout dans un chaudron noirci, pendant que Phil parle avec les voisins de Mandla, tous pleins de fringues de marque. On les soupsonne les gentils gangsta d etre des poachers, des pecheurs d'ormeaux nacrés. Masakhani est d une pauvreté graduelle, entre maisons proprettes de toutes les couleurs en dur, et tas de taules. Pour rejoindre la baraque de Mandla, il faut s enfoncer dans les petites ruelles de terre battue et rejoindre des habitations de moins en moins solides. Mandla est témoin de Jéhovah. Sa cabane de 10m2 est jonchée de prospectus religieux. Le soir, on va a l eglise le voir precher en xhosa, afrikaaner et anglais. Je comprend moins d un tier de ce qui se dit dans la salle mais mon attention se fixe sur les croyants, qui sont blancs, noirs et metis, parlant courramment au moins deux langues.
Le xhosa claque comme des bulles de chewing gum. Certains mots ont des “clics”, produits avec le fond de la gorge ou la langue. Un régal. J ai appris a compter jusqu a dix et je me lasse pas d ecouter les marins du port parler entre eux. Une friandise qui crépite, qui craque comme du chocolat 90% dans mon cerveau.
Et puis un brin de liberté a soufflé après une réunion glorieuse avec mes boss. Charmaine était tellement contente de la nouvelle promo qu elle voulait pleurer.
Mais n empêche que j ai pris 4 jours off à Cape town avec Phil et que ca fesait du bien. Il a beaucoup plu donc j ai passé le plus clair de mon temps a faire secher mes chaussettes sur le radiateur du backpack (auberge de jeunesse sud africaine). Le temps de voir quelques musées donc parce qu il pleuvait, et puis quand il s'est arrêté de pleuvoir on est allés jouer au foot avec les minots de Cape Flats, dans les townships (ghettos est le vrai mot) à l'ouest de Cape town, pour une asso qui extirpe les gansters de la drogue et des armes vers le sport. On est restés sur le terrain avec les enfants et les plus grands jusqu a la nuit, puis on nous a invité a manger des burgers.
On a pu comtempler la ville du haut de la Lion's head, une epine rocheuse qui fait partie de la chaine de montagne de Cape town avec la Table mountain, que je compare à tord avec les calanques... Je peux pas m empecher de comparer à Marseille, Cape town est comme elle, moche de loin, merveilleuse quand on s y interesse, l' air de ne pas y toucher avec ses beautés qu il faut découvrir, gratter un peu. Quand la brume se scotche a la table mountain on passe de la méditerannée à la cote west américaine.
J ai dormi chez un réalisateur de documentaire fan de photo de mode, dans le quartier de Gardens, et puis j ai passé le reste du temps à planter les bases de ma vie ici : les fringues pour l hiver qui arrive, le telephone portable...ainsi qu un 4x4 de location extrêmement cher, mais tant pis, prendre la bretelle aérienne de l autoroute en quittant la ville de nuit, lorsque tout s allume, et se sentir a Las Vegas dans sa voiture ca n a pas de prix...
Juin 2011, escalader les grands espaces
J’écris avant que tout s’échappe. Parce que je suis rentrée, que hier c’était Cap Town et Dubaï, qu’ aujourd hui c est Paris et que demain c’est Marseille. Et que si je ne partage pas, que si je n’ écris pas, j’aurais juste l impression d avoir rêvé. Et qu il faut se souvenir.
J’ai vu. J’ai enfin senti cette Afrique du Sud qui me narguait pendant que je trépignait à Kleinbaai. Dans mon 4x4 je quitte Gaansbaai, DVD gravés, films encodés dans tous les formats existants, copiés sur sur tous les ordinateurs de la compagnie. Je hurle au volant. Je suis libre.
Arrivée à Cape town, je me retrouve bloquée sur le balcon du backpacker et mon sauveur, Q, ne fera pas que m'ouvrir la porte, il va m'emener dans une soirée bouffe africaine avec ses amis, puis dans un karaoké, enfin dans un club gay à Greenpoint. Je suis heureuse de voir cette nouvelle middle class de toutes les couleurs, homos et hétéros, allant a 'université, se mélangeant avec la plus grande sagesse, prète à encaisser les erreurs du passé, prête à prendre la releve et construire l avenir ensemble.
Des son arrivée à l'aéroport, Clément est projetté au Cape of Good Hope, le bout du monde, avec Phil et ses deux potes américains qu on passe prendre à Muizenberg. Histoire de prendre l’afrique en pleine gueule des son premier jour, les babouins géants essaient d ouvrir les portes du 4x4, et puis des zèbres traversent la route dans la lumiere du soir.
White Shark Projects ne m a pas payée, alors ils m offrent des bons. Le lendemain j ai droit à deux plongées dans les forets de kelp à Simons Town. Julia et Julie, par quelques mètres de fond, observent, sur le cul, des dizaines de requins à 7 branchies. La vie foisonne dans l’eau trouble et froide, et les otaries, avec leurs yeux de peuchères, se contorsionnent, vivent l apesanteur, méprisent la 3D et inventent leur propre dimension. Je ris, je pleure leur grace dans mon masque. L’eau est froide, les otaries proches. Et puis parce que Phil l a dit, et ben Clément le fait, et ils plongent en slip.
On part vers le Nord le soir même, les cheveux mouillés, après avoir donné rendez vous aux pingouins pour notre fish n chips au coucher du soleil. La nuit sera froide dans la voiture, mais le réveil au pays de la Lune le vaut bien. Les Rocklands. Des formations rocheuses complêtement délirantes à l’infini. Le paradis du grimpeur. Ici on meurt d overdose de rocher, ici c est une grosse intraveineuse de cailloux. Moi je meurt à chaque seconde de frustration, de ne pas pouvoir escalader chaque rocher, de ne pas pouvoir me jetter dans chaque buisson, de ne pas pouvoir embrasser l espace de mes bras. Les crash pads sur le dos, les pieds écrasant le bush, on s emerveille sur le rocher creux, le rocher triangle, le rocher vagin, le rocher du rhinocéros. Clément réussit des jolis blocs. Cris de victoire au milieu des grands espaces vides, dans le vent qui souffle, le soleil qui écrase nos pas, la lumière qui danse sur les rochers. Les gens qu on rencontrera la bas, ne seront juste que les meilleurs au monde dans le domaine du bloc, et puis, ça tombe bien, il y a des lits de libres dans la grande maison qu ils louent. Les mains pleines de pof, on mange des saussices seches, un carpaccio de spingbock, et on monte en apesanteur.
Ensuite, la route, pour une petite boucle sur la carte de l’Afrique du sud, qui s avère être deux jours de voiture sans fin. Endless. A vue, autant de sol que de plafond, Arizona dream pour des routes droites à l’infini au milieu des cactus, où les nuages sont les seules rayures foncées à la surface de la planete.
On est de plus en plus fiers de notre 4x4. Il est plein de terre jusqu au toit et il trimballe des kilos de boue au bas de caisse. Des sprinbocks, des autruches à perte de sens commun, un fenec mort, et puis un nuage de criquets, le pic émotionnel de ma journée. Une panne d’essence au milieu de nulle part et Clément qui va chercher du fioul dans la ville ghetto la plus proche, à 40 km, en stop, tandis qu’apparement, je risque ma vie à attendre sur la route N1 qui connait le plus de crimes de la région…
Une bouteille de Pinotage plus tard, à refaire le monde. Des lits simples collés pour en faire des doubles, un T-bone et des breakfast au bacon. Du roobois.
Retour à Gaansbaai, derniers instants dans ma maison du trou du cul du monde. Clément fait sa premiere cage dive, et moi ma premiere sans la camera, pour apprecier avec mes yeux les formes, la texture de la peau, l oeil sans émotion de ces grands poissons pleins de dents. Je revois la baie, cette houle monstreuse que j oublierai jamais. Je prend dans mes bras l’équipe qui a été la mienne, fait les derniers sourires, et regarde partir le bateau qui quitte le port le lendemain.
Avant de partir Cape Town encore. On s’élance de Lions Head en parapente. C est une magnifique journée d hiver, et le froid tombe alors que l on vire de bord dans la baie au coucher du soleil, champagne à la main. La Table mountain passe du orange au bleu scintillant, j ai plus froid et je veut encore sentir les embruns alors qu on rentre au port. La derniere soiree se confond dans le mojito et la margharita, et sous les couvertures pourries du backpack d Antoine, dans le quartier de L’Observatory.
Ma vie bascule a la premiere personne et mes sentiments se brouillent comme mes 25kg de fringues sales dans mon sac, sur le parking du car wash. Je veux pleurer ce bonheur concentré, dormir et dessiner les contours de mes souvenirs qui fillent déjà. Je veux voir son avion qui part, mais là haut mon cerveau est en morceaux , il a explosé dans le ciel.
"La centrale nucléaire à sourires" , CARNET DE PLONGÉE À BALI.
03/02/2011 Padangbai, une semaine de sourires et de magie blanche
Voilà maintenant un peu plus d une semaine que je laisse le temps trainer a padangbai, ce petit port qui n a d autre but pour les touristes que la pongée et le ferry pour Lombok.
Je pensais rester quelques jours.
Et puis il y a d’abord le temps qui a ralenti, puis les appels du ferry pour Lombok, qui ont rythmé ma vie.
Tout se résume aux gens rencontrés, à la sensation de rentrer en profondeur dans leur monde, a vivre sur leur temps a eux.
Gede, un balinais, nous invite avec Nicolas, un francais en stage Niveau 1 de plongée, a la cremation de sa grand mère à Klungkung. On est acceuilli avec la plus grande gentillesse du monde. Ici le sacré et le quotidien sont imbriqués l un dans l autre, régis par les mêmes gestes. On s assoit sur les tombes, on sourit, on fume, on existe. Des dizaines de mains lavent le corps, oncles, tantes, enfants, freres et soeurs. Les mains deposent des fleurs, des offrandes, lui passent des bagues aux doigts. Les memes mains qui vont ensuite ramasser les cendres, le reste des os calcinés, les bénir et les envoyer a la riviere. La meme riviere où on lave son linge, et ou on se baignera apres la ceremonie. Tout part, tout revient.
Pendant le trajet jusqu au bringin (arbres sacrés immenses) je me met litteralement a frissonner de beauté. Tout mon corps vibre dans une seule direction : celle de mon sourire. Et puisqu on me le rend, j ai les larmes aux yeux. Tant de couleurs. Tous ces milliers de petits mondes enchevrétés dans les feuilles de bananier, piqués d encens, d épices, de douceur et de débrouille...si seulement nos enterrements etaient aussi beaux, aussi heureux.
Le temps se prélasse. Je lis, je pars une journée avec Anina faire un tour dans les montagnes, dessiner le temple de Besakit et se baigner dans les eaux fraiches de l ancien palais d'eau du roi de Tirtagangga. Je parle avec Agus sur la plage, écoute de l électro et regarde des photos sous marines avec lui au club, en chantant des chansons, en regardant Nada Cinta, leur Plus Belle La Vie, en buvant de l arak. On fait des allers retours a Klungkung voir Gede et sa famille en scooter, en roulant sous les cocotiers, en prenant le risque de depasser lorsque trois autres scooter contenant chacun 3,4 voire 5 membres de la meme famille nous suivent, et que deux camions remplis a raz bord de noix de coco et de cages a poulets sont en train de se doubler sur la voie d en face.
On fait la sieste et on prend le café chez le grand oncle de Gede, dans la maison familiale, sous le manguier. On passe l apres midi a Klungkung pour chercher les ingredients d’une recette strasbourgeoise, dont les lapins vivants, cuisinée chez Gede pour sa famille. On apprend le nom des étoile en balianais, je ne me rappelle que d Orion, « Bintang Tingale »
Je vais plonger deux fois, courant terrible et eau tres chargée a cause des pluies.
Cette semaine c etait aussi la danse du barong, sensée eloigner le mauvais sort de la ville par la transe. Tous en blancs, ces hommes sont projettés en avant, hurlant a la mort, bouffant des oeufs, des poussins vivants et se jettant dans le feu...la procession de masques et d histoires, d hommes en blanc, se deplace inlassablement tout la nuit benir tous les carrefours de Padangbai. Jusqu'à l’année prochaine, les démons ne pénètreront pas dans la ville.
Et puis j'ai voulu organiser une fete sur la white sand beach.
Il pleut, alors Agus va voir son grand-père, présumé le sorcier du village, avec de l’encens, pour faire arrêter la pluie. Je reste avec sa famille, a déguster des restes de poissons cuits aux épices dans des feuilles de bananier. La mère d’agus tente de m’apprende le nom des fleurs en balinais. Elle prépare des centaines d’ offrandes, pour les revendre à ceux qui n’ont pas le temps de les préparer. Une heure plus tard les nuages se dégagent, il revient avec ce sourire accusateur : « Tu vois ! Maintenant tu y crois à la magie blanche, hein ? »
Rien de plus beau que les étoiles, cette nuit là, à danser les pieds dans l eau, qui s illumine de plancton...
10/02/2011 Des sensations psychédéliques a coté du temps,
des gilis a tulamben
Imaginez trois iles si petites qu on en fait le tour en une heure. A pied.
Trawangan, Meno, et Air.
On choisit Trawangan.
Imaginez le sable blanc, la mer turquoise et chaude, des vaguelettes pour les surfeurs debutants et plein de jolis sites de plongee.
Des warungs et des petites habitations, retranchees sur le cote est de l'île, d une part pour les touristes sur la berge, d autre part pour les vrais gens a l' interieur, des petites fermes dans les hauteurs, des femmes retournant des galettes de riz sur un feu de noix de coco, des palmeraies et des pecheurs.
Imaginez l absence de vehicules motorises, et juste des charrettes tires par des chevaux nains ou des velos.
Imaginez la vente libre de drogues douces et l absence de police. Imaginez maintenant trois grosses fetes par semaine auxquelles toute l'île est conviée...
Voila.
Maintenant vous pouvez comprendre le prelassement le plus total, l horizon a perte de vue tout le temps, l odeur du poulet fraichement tue sur la colline qui grille avec des epices tandis que j essaie de grimper aux cocotiers et que fabrice se regale de lait de coco. Vous pouvez ressentir l herbe sous les pieds nus de la colline pendant la chasse aux champignons, la sueur et le rire spychedelique qui en degouline, alors que le tonnerre gronde sur les iles d en face et que les eclairs font office de spot lights. Je hurle de rire.
Le seul point noir : toute cette charcuterie rose d 'australiens, dans leur piscine vue sur mer avec cockails.
Fabrice fait plusieurs plongees. j en ferait que deux avec nicolas. Les departs sont toujours cools, meme lorsqu on a oublie de se lever et qu on a une heure et demi de retard. On part en reduit, avec des petits bateaux a balanciers. On est toujours seuls sur les sites. Saison des pluies oblige, fort courant et visibilite merdique. Mais on tombe sur des milliers de tortues, des requins, des seiches qui irrisent et qui restent avec nous longtemps, tres longtemps...sans parler des nudibranches, perroquets, balistes, baracudas, clowns rouges ou noirs, coraux mous etranges, rascasses...
Puis le mauvais temps nous empeche de rentrer avec le fast boat. Alors la journee entiere nous servira pour retourner a padangbai, par bateau a balancier d abord jusqua lombok, puis par bus jusqu au port, et enfin par ferry jusqu a padangbai (enfin, j appellerai plutot ca un tas de rouille, ou un ancien bac servant durant la guerre de 14 puis vendu aux russes pour faire des experiences sur le tetanos pendant la guerre froide) . Bon, 12h au total et 6 dans une houle aux creux de 3m. On etait prets avec fabrice a sortir les stabs pour les gonfler a la bouche, a cas ou, pendant que les balinais regardaient le thriller indo le plus mal joue de l histoire du thriller, tranquilles.
On se perd dans les montagnes pour aller a Tulamben, sur des routes qui ne sont memes plus des routes, et qui descendent, j exagere pas ! a plus de 45 degres... on s arrete pour boire de l arak a une cremation, on passe par des rizieres , toutes plus belles les unes que les autres, avec ces nuances de vert, vert profond, fluo, vert mouille, vert sale, vert, vert, vert encore...
17/02/2011 Road trip hydrodynamique, plongées en road trip
Nous voila sur la route de la cote nord, notre matos de plongee arnaché a l arriere de nos scooters.
Tulamben et son petit club de plongee a la roots nous laissera les meilleurs souvenirs. Peut etre quelqus unes des plus belles plongees de ma vie. C’est un petit club qui fait losmen, internet cafe quand il n y a pas de coupure electrique, et tanbouille en meme temps, avec plein d autres jeunes plongeurs, norgeviens, canadiens, francais et belges.
On va de l autre cote de la route et on plonge du bord, les bouteilles empillees dans le mini van. C’est a la geek , 4 plongees par jour...fabrice est pas loin du compte, pour ma part, je considere que je suis en vacances...
A corral reef, un requin, et plein de jolies petites choses. Le volcan Agung étant juste au dessus, les coulees ont forme le paysage jusqu a des centaines de metres. Nous, on s est arretes a 60. Sensation ultime d etre les seuls qui bougeons dans ce monde immobile, froid, sombre et inviole... une narcose merveilleuse, un fou rire embrumé. La pression a casse le caisson de l appareil photo de fabrice, le mien a resiste j ai meme pu prendre une photo de mon ordi affichant les 60m! ca c est fait.
Et puis il y a la magnifique epave du liberty de 100m, coulee par les japonais remise a l eau par l eruption du volcan agung.
On a evolue en apesanteur, entre les calles et la proue, descendant le long de la coque monstrueuse, recouvertes de concretions de corails et de milliers cachettes a poissons. on contourne, survole, et puis au loin un requin. Derriere un morceau de carcasse, un barracuda gigantesque, sorti tout droit du paleolitique, avec sa gueule pleine de grosses dents, qui nous regarde, a un metre de nous. Et puis pour faire notre palier, dans 5m d eau, le cul pose sur l etrave du liberty, un banc de milliers de carangues argentees se met a tourner autour de nous, illuminees de soleil. la tete a l interieur d une boule a facette.
Malheuresement, ses souvenirs restent dans nos tetes. Parce que fabrice n a plus de caisson et que mon appareil photo a rendu l ame (il etait pas au top de sa forme en partant, l humidite aura eu raison de lui.) Je me jette maintenant sur tous les appareil argentiques pourris que je trouve, des jetables au super "lucky SV300" a piles avec flash integre! C est l experience de materialisme la plus difficile et la plus etrange de ma vie, photographiquement. Laisser toutes ces belles couleurs au fond de ma tete et sur des pellicules aleatoires.
Surtout que les paysages defilent.
A Amed on fait du snorkelling sur une petite epave japonaise qui baigne dans une quinzaine de metres d eau . On se balade au hasard des chemins, prenant vers la jungle, ou une route paumee qui sort d un village. Belles surprises, comme cette riviere perdue dans la foret, aux cotes d une ferme aux cochons noirs, et puis de belles rencontres de familles preparant Nyopi en construisant ces enormes statues de papier mache. Comme a chaque fois, comme toujours, on nous demande d'ou on vient et ou on va, pour nous situer dans le cosmos, et puis on nous invite sur le perron de la maison, pour boire le cafe et manger des bananes. On a l impression qu a bali on pourrait passer notre vie a aller de maisons en maisons, de familles en familles, boire des cafe et manger des bananes...
La route se poursuit a Lovina, ou lon se trempe les fesses dans des sources d eau fraiche a midi, et puis dans des sources d eau chaude le soir. L eau sulfureuse ralenti les battements de coeur, la lune monte derriere les cocotiers, les locaux font les imbeciles et fument des clopes au clou de girofle, sous l eau tiede qui sort de la gueule de garuda.
La route est rigolote, toujours surprenante, trouee, mouillee ou douce. Regards et fous rires echanges dans le retroviseur pour une degaine d indonesien pas cernable avec sa casserole en guise de casque ou des epi de mais en guise de rond point. Manoeuvres in extremis entre deux camions, pieds entierement recouverts par le torrent sur la route lors de la pluie infernale, moustiques dans les yeux, regards intrigues lorsqu on demande une direction et trois bras indiquant trois directions differentes et trois doigts leves pour deux kilometres...
Singaraja, deuxieme ville de bali, plus musulmane. La ville, fascinante, qui empille les beautes d aujourd hui sur les immodices de la veille. On a l impression detre au bled en mangeant sur le marche, cest rigolo.
Plus on s enfonce vers le nord et moins il y a de gens, plus on penetre le bali discret et reserve, calme.
Permuteran, l extreme nord ouest de l ile. On ira plonger la journee, avec un petit bateau et des divemasters completements fous, sur la petite petite ile de Menjagan, parc naturel, entouree de tombants vertigineux et de plus de gorgones que je n en ai jamais imagine, avec des nudibranches et danseuses espagnoles. grandiose.
26/02/2011 Demons ; dieux et delices , acte final en 3D
J’ai reve, dans le creux d une montagne, a la tombee de la nuit.
Degong music dans l air et la brume qui tombe sur le haut des portes du sanctuaire. Des gens descendent, tous en blanc, comme s ils volaient, sur les marches pleines de mousse. Je reve. Les dieux ont appuye sur pause, je pleure. Je seche mes larmes sur le scooter, merci, c est trop beau.Tout va de plus en plus vite, et nous sommes alles de plus en plus profond, de plus en plus loin.
Une halte pour grimper les 700 marches d un temple, ou pour aller voir des cascades au souffle devastateur de ce qui me restait de sec en vetements.
Ubud, la ville bobo (lieux des peintres et danseurs, mais bobo a souhait, on se demande pas pourquoi tant de francais resident ici...) et ses dedalles, ce labyrinthe de curiosites touristiques aux milles terrasses, terrains, chemins dalles et restaurants atypiques, nous a peu seduits, si ce n est que l on s y est perdu souvent, qu on a eu de jolies surprises, et pour ma part, que j ai dansé!
Le matin je me levais pour mon cours de danse. J ai appris a tout bloquer, relacher parfois, a rouler et corriger le regard. Et puis le soir, j enviais ces hommes et ces femmes qui suspendaient les secondes et les gestes, qui jouent le contretemps, qui emploient leur magie a deconstruire le monde du rythme, avec autant de precision et de grace. On peut parler de notre musique, de notre danse, qui ne jure que par la surcharge baroque, sucree, ecoeurante de l harmonie. Notre musique qui a reussi a jouer le decale que maintenant avec la danse contemporaine et l experimental. Eux, ils ont invente la tribe avec la bouche et le break dance avec les dieux, depuis longtemps. Alors je regarde les marionettes desarticulees qui transforment la realite en etrange, et je reproduis, je contracte les muscles de mes mains et de mes pieds.
Ubud, c est aussi manger du babi guling (cochon a la broche farci) et puis tirta empul, le temple aux sources sacrees. parait il que l eau nous donne la jeunesse eternelle. rides ou pas, c est dans le silence que j ai recite le soutra, baignant dans les fleurs, et m aspergeant d eau fraiche.
Le lendemain il fait beau, je me balade pieds nus sous le soleil dans la boue des rizieres. Je coure dans l herbe mouillee, Fabrice prend des photos, et puis j aide mika, une petite vielle d 1m40 a mettre ses 40kg de recolte sur son dos. Le soir tombe, a cette heure la lumiere mange mes yeux, eclabousse en dore, en fluo, les silouhetes et les flaques d eau. C est beau la campagne. Ce soir on a vu un spectacle de Kacek, une trentaine d hommes torses nus qui font litteralement de la techno avec leur bouche, sur des rythmes repetitifs et lancinants, qui font de la transe auditive et visuelle, avec leurs milliers de mains et de torches enflammees.
Le scooter, encore cet air chaud qui glisse sur le visage, un arret nostalgique au bord de mer en sirotant une noix de coco a la tombee de la nuit, pour le dernier trajet du road trip. Boucler la boucle a padangbai, a la maison comme on pourrait dire, chez made homestay, pour une derniere nuit.
Le bateau pour Nusa Penida. L ile aux demons, l ile mysterieuse. Magique. En face de Bali, et pourtant si loin, comme si le temps l avait oubliee, et les touristes aussi. A Nusa Penida on parle pas anglais, peu indonesien, beaucoup plus le balinais, mais surtout le bahasa nusa, le langage de l ile. Voila. C est dit. Et nous on est forces d apprendre vite. Fabrice se debrouille tres bien, et c est avec de petits succes qu on demande l heure, les directions, qu on marchande ou meme, qu on commence des conversations, en indo-balinais.
Sauvage, les falaises eclatees au vent et aux forts courants, penida nous donne la liberte, elle nous offre la vie tranquille, secrete, de ses habitants. On assistera a la ceremonie de conversion d une musulmane en indoue : les petits gateaux, les sourires, les cigarettes, les jets d eau sur les tetes, les fleurs dans les cheveux, et les mots sacres du pretre, sonnes a mi-voix, a mi-coeur pour la nouvelle pratiquante, aux cotes de sa nouvelle famille et mari.
On est tellement libres qu on seuls sur la route, on est dans mario kart sur le scooter. Les tapages dans les mains des gamains rapportent beaucoup de points mais le bonus, ce sont les hommes-bananes, les hommes-arbres, qui charrient la recolte de sa journee sur leur tete devenue invisible.
Penida nous offre son temple cache dans le ventre de la colline. On penetre sous terre par un tout petit trou, on se recroqueville, et puis on debouche dans un espace immense. Au fond, dans la penombre, le son de nos pas qui resonnent, des autels eclaires par trois ampoules, et la cloche du pretre qui recite. On devient le silence, l obscurite, l air est lourd, calme.
Et puis l envie de crier comme les vagues, d ecarter les bras et de toucher les falaises, d etre comme l ile, qui s impose, imperiale, aux elements. On a le cul dans l eau fraiche, a mi paroi, et on est libres, la, sur l ile.
Quelle n est pas notre surprise de decouvrir nusa lembogan, quasiment rattachee a penida, pleine de touristes. Nous qui debarquons avec les femmes et les paniers du marche, le choc est rude. Mais les plongees magnifiques. Des prairies de corails vallonnees, et des milliards de couleurs qui fretillent, foisonnantes, exposees aux courants, a la vie charriee par l eau. On decouvrira encore penida, vue du bateau, belle, toujours. Comme dit Fabrice, cette ile a une odeur, acidulee, de liberte et de magie.
Retour sur Bali. Sanur puis Kuta. Ce sont les derniers fremissements du voyage, moment adieux. On retrouve ces lieux du depart, les conneries ambulantes et la frenesie de la ville, ainsi que notre ami Zeroo, fidele a son poste, sur la plage.
Derniers parcours en scooter, pour tanah lot, le temple sur la mer, au nord, une vraie industrie touristique, a mi chemin entre l aeroport et le centre commercial. Demain, le bukit, la peninsule au sud. On finira surement a Jimbaran manger du poisson au coucher du soleil, a boire de l arak avant de prendre l avion.
Nous allons donc quitter cette ile ou les dieux renouvellent le bail pour l eternite. Ce reve en technicolor, cette centrale nucleaire a sourires ou l on apprend a prendre le temps, on l on apprend a retenir son souffle pour mieux le relacher, ou l on apprend a rever eveille. J ai les larmes aux yeux mais je reve encore, Bali c est trop beau, ca peut pas etre vrai, surtout, ne me pincez pas, je reviens...
27/02/2011 Juste avant de partir.
Mon cœur enfle. La nuit tombe et je m’endors sur le dos de Fabrice, sur le scooter. On file dans l’air chaud, on défile dans le traffic anarchique. Je ferme les yeux et répertorie ce qui va me manquer. Les petites choses, l’air de rien. L’odeur des offrandes, les bouteilles de vodka remplies de benzin pour faire le plein, les scènes de vie, dans les échoppes, les warungs. Le son d’une cérémonie derrière un mur. Le nasi goreng et les chips aux petits pois.
Mon cœur enfle, enfle, encore.
Les images perdues sonnent comme un vide à manquer, et je vois Fabrice baignant dans le reflet du soleil, tête baissée, bras écartés, paumes tendues vers la mer, sur la falaise à Nusa Penida. Je revois ma prière dans les fleurs aux sources sacrées, mes pieds nus dans les rizières. Je vois ma posture sur l’énorme raçine de crystal bay et mon sourire matinal dans le bateau chargé du marché pour Lembongan. Je revois ma tasse de thé sur le bateau avant la plongée. Les silouhêtes se dessinant sur le magnifique jardin de l’Arma, pendant mon cours de danse. Le masque de Raksasak porté et partagé avec les habitants de Nusa Penida.
Mon cœur enfle.
Les dieux nous infligent de perdre nos souvenirs, un jour. Et pourtant je dis merci.
Pour cette magnifique dernière journée, pour cette soirée passée à se chanter dans la figure.Pour les pétales de soleil qui dansent sur les rochers d’Uluwatu, dans la grotte d’eau et de lumière. Pour le plongeon dans l’eau opaque, turquoise et tumulteuse, la façon tendre dont Fabrice m’a regardée au réveil, son sourire qui pleure de nostalgie et de vérité, la puissance des moments simples, beaux, justes, passés ici. Mon cœur me lance.
Merci pour les singes qui sautent dans l’eau, le policier à qui on a échappé, les parties d’échecs, nos pas cérémoniaux et silencieux du dernier jour, à travers la végétation du temple d’uluwatu.
Merci pour la lumière qui suinte de partout, qui éclabousse mon cerveau embrouillé et pour les derniers rayons de soleil de Bali, léchés jusqu’à la dernière goutte, les larmes pleins les yeux, sur la falaise.
Merci pour le dernier repas à Jimbaran, pour nos cœurs enflés, prêts à éclater, comme toutes ces lueurs qui dansent dans la nuit chaude.
J’ai mal de te quitter, Bali.
"Plongée dans la différence" : filmer sous l'eau et sous les codes culturels de l'EGYPTE.
Mai 2012. Postface. Retour sur mon temps égyptien.
Je rentre dans mes pantoufles. J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.
Le réveil sonne, mes cheveux sont encore mouillés de la veille, et il y a l’appel à la prière au loin. Une culotte dans la poche, la caméra sur l’épaule, le caisson à la main. L’œuf dur, les crêpes et le thé noir. Le foul. Sabbah El Reir. Chokran. Tammam.
Le détendeur, les breifeings, l’odeur du fioul et le tanguage du bateau.
Cette terre poussièreuse, les horizons hagars, désolés, muets. Des pâtés de constructions inachevés, posés au hasard de l’espace. L’Égypte, une construction de Dieu aléatoire, un terrain vague d’hotels. Du sucre, des prières et de la techno pour oublier tout ce vide.
Juste, parfois, on est transcendés par la lumière, translucide. La douceur de l’air doré à l’appel de la prière. La lune à l’envers. Des mots en arabe. Le thé et les quartiers d’orange, les nuées de poissons qui éclatent, les reflets de la surface.
Je vis encore une fois ici, comme avant. Le temps n’est plus aux bilans, Il est au temps qui passe, aux habitudes qui se prennent au bout du monde.
Mon passeport compte 6 visas égyptiens, ils se sont accumulés entre 2008 et 2012 et je ne pense pas que ce sont les derniers. Les textes parlent d’Hurghada, d’Assouan, du Sinaï, mais les photos montrent aussi la Jordanie, Taba, Marsa Alam et Sagafa. Mes sensations restent partout les mêmes dans ce pays unique, doré et poussièreux. En vacances, en famille, en amoureux, pour le travail, enthousiaste ou la peur au ventre j ai fait 6 fois l’aller retour entre le Nil et la Méditerrannée. Les textes qui suivent ont été écrits lors de mon premier voyage.
25 Janvier 2008. Quotidien et travail d’arabe
Peu de nouvelles, bonnes nouvelles dit on, heuresement c’est mon cas, un peu forcé par la coupure internet de ces derniers jours, et oui ici l’électricité, l’eau, comme internet peuvent s’arrêter pendant plusieurs heures , voire plusieurs jours…
Sébastien, le type que je remplace, est parti le 21 janvier, en me laissant son chat et son appart luxueux jusqu’au 30 mars…deux mois et demi.
Je vais filmer les touristes venant plonger en mer rouge, au dessus et au dessous de l’eau, et pour gagner ma croute, je leur vendrai à la fin de leurs journée un super DVD monté et gravé par mes soins.
Tout d’abord, la vie. Hurghada c’est le st tropez de l’Egypte, si à Sharm el Sheik il y a 50 casinos et 800 hotels, Hurghada ne devrait pas tarder à atteindre les mêmes chiffres. Il y a à peine 5 ans, les 300 bornes de côte possédaient un hotel tous les 100 kilomètres. Maintenant il n’existe plus une seule plage qui ne soit pas accessible depuis un hotel, plus un seul centimetre carré de côte qui se soit pas construit. Ici beaucoup de nouveaux riches russes, irrespectueux et bourrés toute la journée, d’italiens, de francais, de suèdois. La mode est au bikini et à la mini jupe, dans un pays arabo mulsulman où 90 % des femmes sont voilées. On trouve de jolis contrastes à Mc Do… Hotels, restaurants, karaokés, bars (peu fréquentés par les égyptiens qui ne boivent pas d’alcool) et boutiques attrappes couillons vendant exactement les mêmes choses sur plusieurs kilometres.
La night life d’Hurghada donne envie de se mettre des doigts tres profond dans la gorge.
La circulation, par contre, reste égyptienne. En un mot, chaotique. On double à gauche, à droite, on oublie la code de la route. La nuit on allume pas les phares (mais pourquooooiii???) on les allume juste pour se signaler à celui de devant qu’on arrive en l’éblouissant avant de passer, et la journée on klaxonne. On se déplace en taxi parce que ça coute pas cher….quand on connait les tarifs! Parce qu’ici, pas de compteurs, c’est le type qui dit combien, quand c’est pas toi. Toujours recompter la monnaie, j’ai meme falli me faire soutirer 20 livres égyptiennes au Mc Do!
Les égytiens trouvent tous les moyens possibles, au mieux pour vous demander en mariage, au pire pour vous mettre la main au panier. J’ai fini par trouver la tactique : je me suis acheté une bague et je raconte que je suis marriée à un certain Mohammed Amada…Après ça ils disent plus rien, la solidarité masculine l’exige.
J’essaie d’apprendre l’arabe, et franchement, c’est pas si compliqué que ça. Beaucoup de syllables qui se ressembent, c’est ça qui est difficile. J’arrive à écrire quelques mots, à déffricher les emballages, même si je ne comprend pas encore ce que je lis, j’arrive à répondre aux questions courantes des marins sur le bateau, et à compter.
29 Janvier Une journée comme une autre sur le Sea Star
Lever 7h30 pour aller prendre mon taxi quotidien en compagnie de moniteurs du club.
8hoo dans le restaurant de l’hotel à coté du club de plongée, déjeuner occidental, les pauvres clients mourraient surement d’intoxication alimentaire sinon…
8h30 dans le club de plongée, preparation des affaires, shecking des listes de touristes sur les différents bateaux pour voir lesquels seront les plus rentables (groupes de jeunes, de vieux, couples, debutants ou confirmés) je vous cacherai pas que le mieux reste le couple de vieux debutants!
9h00 j’ai embarqué sur ledit bateau avec mes affaires de plongée, ma camera, mon ordi portable, mon caisson étanche. Tout de suite je commence par me presenter aux gens, que je suis le cameraman de blue lagoon et que je vais leur vendre un dvd…commence alors une série de plans d’introduction, depart du bateau, bouteilles de plongée, écume, nom du bateau, logo blue lagoon, puis les têtes de gens lors du briefging de plongée, avec des plans de coupe du moniteur fesant des demonstrations de comment mettre son masque, comment respirer dans l’embout…
Le bateau ralentit, on arrive, après trois quart d’heure de navigation. C’est le moment pour se preparer plus vite que tout le monde. Combi qui colle ou froide, capuche, ordi de plongée, masque, bloc prêt avec la stab gonflée, la bouteille ouverte, le plomb à l’intérieur des poches. Je filme les gens qui enfilent leurs combis, qui passent la stab, qui se mettent à l’eau.
Une fois qu’ils sont partis je plonge, après m’être tenue au courant de la topographie du site (effectivement je plonge seule…) pour retrouver le bateau (le nord est par là parce que le soleil est dans mon dos, le courant me porte par ici, la patate de corail est bien après l’amemone avec les deux poissons clowns à une profondeur de 8m….) et c’est parti pour la plus grande course poursuite de la journée, à palmer deux fois plus que les moniteurs entre les aller retours entre chaque groupe qui plonge (desfois 13 plongeurs dans des directions différentes…) et le fait de toujours devoir les devancer pour les prendre de face afin qui se reconnaissent (en plus avec un masque il devient difficile de reconnaitre les gens de son bateau…) sans compter qu’il faut controler son propre materiel, verifier son air, filmer les poissons comme il faut, tout ça en fesant du tourné-monté…oui, oui…
Une fois remontée à bord je speede pour me désequiper, sècher le caisson et sortir la caméra avant que le dernier groupe ne remonte afin de le fimer alors qu’ils remontent l’échelle.
Puis direction le carré où j’allume l’ordi, sors les cables et capture les vingts minutes de film de la matinee en se sèchant les doigts et les cheveux pour pas que ça coule sur les touches.
Pendant la capture les gens mangent, le truc est d’arriver à les interesser dès ce moment là. La table se débarasse, j’ai fini ce qu’on pourrait appeller un montage, posage de musique et d’un titre , de deux fondus au noir. Exportation .
Je pars réveiller les touristes qui dorment au soleil sur le pont supérieur. Animation de la scéance malgré les marins égyptiens qui hurlent parce que le bateau se déplace pour la plongée de l’après midi. Puis marketing. Aller, achetez mon dvd, il est beau, il est bien. Puis grand moment de solitude où on attend que les touristes se décident. Des fois, rien. Desfois, malgré les apparences, plein.
La plongée de l’après midi depend de ceux qui prennent le dvd. Le soir il faut retoucher le film, faire des plans de coupe interessants de poissons, et graver le tout avec un menu et des bonus. Parfois je trouve un peu de temps et d’énergie pour aller boire un verre ou regarder un film egyptien avec les moniteurs du club, chez Hussein et Mahrmoud, pendant qu’ils m’offrent le thé et fument du shit.
2 Février Les dauphins, le sinaï, ma mère et moi
Je suis en vacances ce jour là. La caméra est restée au port. Je ne veux même pas plonger, juste être sur la mer, juste penser qu’avec le soleil, ils sont ma maison.
Penchée sur le bastinguage, je regarde les bulles exploser à la surface. C’est ma mère qui rentre de plongée, bientôt, elle s’accrochera au pendant du bateau pour faire son palier.
Soudain un marin saute de la timonerie et crie : « dolphins ! dolphins ! » Bordel sur le pont, les touristes se déchainent, c’est le moment de tout mettre en œuvre pour rater avec enthousiasme ce magnifique moment à l’aide de leurs appareils photo. Ils se rapprochent beaucoup plus qu’à l’habitude. Pas le temps d’enfiler la combi et de me mettre une bouteille sur le dos.
Je choppe mes palmes, masque et tuba, et je nage vers eux. C,est un groupe de huit dauphins qui tournent autour du bateau.. Je me retrouve seule, avec ces gros animaux, gracieux, agiles, puissants. Je suis tellement près que je vois leur petites dents que je peux les fixer dans les yeux, ils sont à quelques centimetres de mes doigts, se reculant juste de ce qu’il faut pour ne pas qu’il y ait contact. Je tourne dans un sens, ils tournent avec moi, je change de sens, ils changent aussi, ils veulent jouer, prennent des morceaux de cordes trouvées ça et là, et s’amusent à se l’envoyer. Je pourrais presque jouer avec eux, mais je suis une éléphant dans un magasin de procelaine. Ils descendent voir ma mere qui observe la scène, immobile, à dix metres en dessous, puis reviennent me voir à la surface pendant 20 minutes, peut être une demi heure, le temps ne se mesure plus. Je reste, là, sans penser à rien, juste tester de me rapprocher toujours plus à chaque minute, un frisson lorsque un de la troupe me fonce dessus pour ensuite se rabattre au dernier moment, pour jouer. Ces grosses bêtes pourraient me tuer s’ils en avaient envie… Moment magique, sensation de l’eau qui caresse la peau si souvent séparée par la combinaison, le silence, sans être entrecoupé par les bruits de ma respiration dans le détendeur, le cliquetis des dauphins qui se parlent, leur proximité, presque une intimité, un moment qu’ils ont bien voulu m’offrir.
Je profite ensuite d’un de mes jours de congé pour traverser la mer rouge avec ma mere et retrouver le sinaï, juste en face. Une journée pour aller escalader le mont moïse, dans le desert, à 2280 m d’altitude, là où le prophète aurait reçu les dix commandements de Dieu, le fondement des trois religions qui commandent le monde. Récit biblique datant de 3ooo ans. Deux heures de route à travers le desert de rochers, rouges, verts, jaunes. Comme partout en Égypte, tout sent la poussière, la terre. Les rochers changent, mais aucun repère de proportion dans ces rochers, on n’arrive jamais à determiner les distances, le dénivelé. Trois heures de marche avec Nasser, notre guide imposé à St Catherine, la Lourde de l’Égypte. Chameaux à touristes et boutiques inévitables.
Mais là haut, plus personne. Juste l’envie de rester, de comtempler le desert vu de haut, les montagnes rouges avoisinnantes, le silence. J ‘ai tellement envie de rester, de comprendre cette sensation mystique qui m’emplit…mais il faut repartir.
10 Fevrier Un jus de canne
La circulation est incessante. La poussière remue tout sur son passage et je ne suis pas prête de trouver ce que je cherche. Les rues étoites, en terre battue, de El-gar-dahka, la vraie ville d’hurghada, grouillent de monde, chargé de sac de riz, de poulets, de tour d’ordinateurs, de journaux ou d’épis de maïs. Il doit être midi, le soleil tape fort, et j ‘ai chaud dans mes vétêments qui me couvrent les jambes et les épaules. Mes pupillent ne se ferment pas assez avec toute cette lumière, j’ai mal aux yeux. Tout est blanc.
Il me faut du polish pour voiture. J’en ai jamais acheté en France, je ne sais pas à quoi ca ressemble, encore moins en Égypte. Apparement, après avoir étalé le produit sur le dôme de mon caisson pendant des heures, il est possible d’enlever certaines rayures. En y repensant je me dis que mon entreprise me semble désespérée et je met à errer dans les rues, tout en essayant de ne pas faire attention à tous ces regards sur mon passage.
Dans mon dos j’entend alors « Amada ! amada ! »
C’est Mohammed, dit « Sharon », le beau capitaine du sea star. Il doit avoir la cinquantaine. Il est toujours élégant dans ses djellabas blanches, avec son turban et son regard fier. Il ne parle pas anglais, ni francais, ni aucune autre langue que l’égyptien. Sharon a l’air de beaucoup m’apprécier, il me fait des grimaces, ou toutes sortes de blagues qui peuvent être comprises sans parler. Il m’appelle « amada » depuis qu’il a comprit que ma bague et mon mariage à Mohamed Amada était un prétexte pour être tranquille. Ca l’a beaucoup fait rigoler.
Il me demande par gestes ce que je fais là. Entreprise encore plus que désespérée de lui expliquer. Je montre les voitures, fait des gestes dans tous les sens. Sharon m’amène dans une épicerie, puis dans une librarie, puis dans un garage. Chaque fois il faut réexpliquer et c’est le calvaire. Enfin, je trouve ce qui semble être mon bonheur dans une droguerie.
Sharon est content, il aurait peut être fait deux fois l’ascension du SinaÏ pour me trouver une boîte de pois chiches.
Il tient à m’offrir à boire et me traîne dans une sorte de snack, rempli d’hommes qui sirotent le thé et qui fument la chicha. Derrière le comptoir un type prend des cannes à sucre et les presse dans une grosse machine. Sharon m’incite à goûter. C’est délicieux.
Ses yeux rient et pleurent toujours tout à la fois. Au club on m’a dit qu’il n’avait pas de femme ni d’enfant. Je dois être sa protègée, et je suis bien désolée de ne pas pouvoir lui parler. Je reste là, à faire les yeux ronds de plaisir aux gorgées que je bois, à regarder mes pieds et à dire merci. Quand bien même il parlerait ma langue, je reste une femme, blanche, jeune, et lui un Égyptien, un homme, vieux. Je vois bien qu’il prend sur lui tous les regards de ses connaissances, de ses voisins, lorsque nous marchons côte à côte dans les ruelles. J’ai envie de pleurer et de rire, moi aussi, par dessus les interdits, les mœurs, les burkas, les étals du marché, et sa main qui s’efface dans la poussière quand il me dit aurevoir.
25 Février Voyage à assouan
La couleur marron soleil, comme je l’appelle, cette couleur de terre, de poussière, de sable qui recouvre tout, celle-là on l’a vue avec Jérôme pendant notre voyage à Assouan. Le thé et les fêves dont raffolent les Égyptiens ont la même couleur. 10h de bus pour 5oo bornes de trajet au bord de la mer rouge d’abord, puis dans le désert, enfin de long du Nil. “L’Égypte est un don du Nil” quelqu’un a dit. Vraiment pas sans raison. 90 % des terres de l’Égypte, c’est des cailloux et du sable, sauf le long du Nil. Des cultures de partout, avec charrettes tirées par des ânes tout au long de la route, ce vert presque fluo de la vie qui émerge au bord du fleuve.
Et puis je suis tombée amoureuse d’Assouan, c’est comme si je le savait déjà avant d’arriver. Assouan c’est la ville de la Nubie, cette région qui fait transition entre le monde arabe et africain, les gens sont d’ailleurs métissés. Dans le paysage, tout se confond, tout est harmonieux, c’est ce Nil qu’on a décrit dans les décors des milles et une nuit : désert jaune aride, végétation qui a soif de vie, ces palmiers qui se dressent par centaines le long du fleuve, des multitudes de petits dériveurs avec leur voile unique et immense, blanche, qui avancent lentement, les felouques. Si Marseille a son pointu, Assouan a ses felouques. Le Nil change de teinte selon l’heure de la journée, et parfois il se fond avec le paysage, bleu, jaune, vert, rose, blanc. Les bords du Nil possèdent une certaine sensualité.
On se ballade dans le souk touristique sans interêt, j ‘ai l’impressin de toujours être à Hurghada…Le lendemain on se rend au temple de Philae, aux abords du Lac Nasser, pas loin des frontières du Soudan. Un des derniers temples de l’Égypte Antique qui était encore fréquenté. Les hieroglyphes me fascinent, non seulement parce que j’y comprend rien, mais surtout par leur finesse et leur style. Les graphistes, les artistes contemporains, les directeurs artistiques de Coca Cola n’auraient pas fait mieux. Les pharaons auraient régnés sur l’Égypte quelquechose comme 2000 ans, une des plus vieilles civilisations et une des plus avancée, avant l’invasion des Romains, des perses, puis des Arabes. On peut pas s’empêcher de se demander ce que serait devenu, de nos jours, un peuple pareil. Est ce qu’ils auraient inventé la bombe atomique avant nous? Auraient ils déclaré la guerre à Bush? Auraient ils conservé leur religion? Auraient ils sur leur drapeau une pyramide?
De retour à Assouan on passe une bonne heure à négocier avec le capitaine d’une felouque pour descendre le nil d’Assouan jusqu’à Drawa (un peu avant Louxor) en deux nuits et un jour. Forcément on nous invite à prendre le thé, ce qui est normalement un geste de politesse mais qui avec les touristes est une tentative d’amadouement. Puis on nous invitera a manger avec eux, accroupis, avec le eich (le pain) en guise de fourchette pour le foul (les fêves). Le marché est conclu, on fait un petit tour sur l’île Éléphantine sur le fleuve. Les Femmes à l’avant du ferry, les hommes à l’arrière. Parfois ce clivage me rassure, parfois il me révolte, parfois j’ai moi aussi envie d’être voilée pour ne pas subir le regard des hommes (et des femmes!), parfois j’ai envie d’arracher le morceau de tissu et ces pulls manches longues qui doivent les faire bouillir de l’intérieur sous cette chaleur. J’ai envie de hurler quand les hommes disent à Jérôme qu’il de la chance. Pourquoi? Parce que je dévoile mes chevilles, ma tête, parce que j’ai l’air plus désirable? Pourquoi ce voile ne devient parfois qu’un prétexte ?(en couleur, assorti à la tenue, il peut même devenir seillant, joli) Pourquoi les femmes jouent elles le jeu en mettant la burka? Je crois que plus personne ne sait…
Sur l’île Éléphantine on marche entre les petites maisons nubiennes pleines de couleurs, les rues en terre sont très étroites, au détour des rues, scènes de vie quotidienne avec les enfants qui jouent, la grande soeur qui garde sa petit soeur, les gens qui se dirigent vers la mosquée et la voix du muezzin qui résonne entre les murs du village. Des chèvres, des buffles (gamouza), des felouques, le Nil…
On a donc descendu le Nil jusqu’à Drawa, mais en une nuit, et un jour, en tirant des bords. Bien le temps d’apprécier la cuisine du capitaine, d’apprendre des mots, de faire la sieste et de se réveiller le clapotis de l’eau sous les oreilles, de sentir l’odeur de l’eau du fleuve, s’arrêter pour marcher un peu au bord du Nil.
Drawa est un petit village. Les gens nous regardent comme des extraterrestres, il faut se battre pour recupèrer la monnaie pour un épi de maïs, on veut forcément tout nous faire payer et tout le monde veut nous parler. Sauf un. Un petit sourd avec qui Jérôme essaie de nouer contact. Un plein milieu d’un carrefour, entre charrettes d’ânes, taxis improvisés qui hurlent, chameaux. Là, tous ceux qui essayaient de nous embrouiller sachant que l’on ne parlait pas bien arabe, restent muets devant la discussion (incompréhensible!) de Jérôme et du gosse.
On visite la vallée des rois, là où les pharaons se fesaient enterrer en secret, dans le désert. Encore une fois j’ai les yeux qui sortent de la tête devant la finesse des peintures, des couleurs. Et cette poésie…Nout, la déesse du ciel, avale le soleil le soir et le recrache le matin. Son corps est la voûte celeste…
Puis on prend le bus local, on se fait arrêter aux checks points, parce qu’on a pas le droit d’être dans ce genre de bus. Le chauffeur se justifie en disant que Jérôme lui a parlé arabe! Un autre bus, à travers le désert. Il fait nuit et c’est la pleine lune. On voit nettement les collines de sable, les rochers, c’est magique, bleu gris. Une nuit américaine…
Dimanche 15 Mars Différents culturels
Je me suis accrochée avec un moniteur égyptien aujourd’hui. Nos conceptions opposées se sont rencontrées. Le sujet nous a mis en abîme, la rencontre de ma civilisation et de la sienne. J’ai parfois peur que nous ne soyons pas pareils. J’ai parfois peur que les humains soient différents, mais je me ravise en pensant que nous nous créeons des différences pour créer des groupe auquels on se sent appartenir, c'est tribal.
J’ai peur de ne pas pouvoir saisir sa culture, j’ai peur de ne pas être assez ouverte. J’ai peur que nous puissions seulement nous cotoyer sans pouvoir vivre ensemble, qu’a jamais dans ses yeux je serai la petite effrontée occidentale, qu’a mes yeux il soit toujours l’arriéré intégriste, quoiqu’il arrive, j’ai peur que la culture soit une puissance tellement forte qu’on ne puisse jamais la surpasser. Je ne me sens pas chez moi ici, et c’est d’autant plus insupportable qu’il est impossible de faire des catégories et de savoir à quoi croire, à qui se fier.
Je me sens mal de ne pas pouvoir lier de relation sincère d’amitié avec un homme égyptien. Je souffre de l’absence des femmes dans la rue. Je souffre du clivage des sexes et des status, et de toujours avoir à l’esprit une séparation entre moi et la personne à qui je parle, de toujours devoir me remémorer quelle position j’ai par rapport à lui. Comme si je devais me comporter d’une manière particulière parce que je suis une femme, parce que je suis francaise, parce que je suis jeune.
Je crois que je ne comprend plus le monde. Je me sens mal d’être l’intruse, d’être différente des autres et qu’on me regarde comme un extraterrestre, une pute, une infidèle ou une petite fille. Je ne suis rien de tout cela, je suis juste moi. Je me pose la question de comment leur faire comprendre cela et c’est déjà comme si j’étais allée trop loin.
"Rouge Gorge", un chant magnétique appris au pôle Nord.
NUNAVUT, CANADA, 2016.
Nous sommes dans la dernière partie de tournage du documentaire « rouge gorge », un projet mené depuis 4 ans par mon amie franco-québecoise Marie-Pascale. A travers une quête généalogique sur sa famille, elle remonte aux origines métissées des québecois avec les autotochnes, et sur une partie occultée de l'histoire du Canada. L'apprentissage du chant de gorge inuit (« le kattajaq ») avec une inuk rencontrée à Ottawa l'année dernière, Charlotte, lui permet aujourd'hui d'intégrer une petite communauté inuit dans le grand Nord Canadien, bien au dessus du cercle polaire Arctique, Igloulik.
Le film sera diffusé sur TV5 Canada et en festival en France (nous espérons aussi la TV francaise).
Il est soutenu par le CNC.
Notre petite équipe se compose donc de Marie, la réalisatrice, Charlotte, notre guide et interprète inuit qui a aussi sa place dans le film, Claude, notre sound-girl embauchée à Montréal, et moi même, à l'image.
L'avion se rapproche d'Igloulik et monte droit vers le Nord. C'est comme si on se rapprochait d'un trou noir. J'ai l'impression de les lois physiques et logiques de l'Univers prennent fin. Le temps et la lumière se tordent, les sons s'attenuent et tout devient lisse. Le soleil n'est plus qu'un trait à l'horizon, puis tout se perd dans une page homogène de blanc, de gris, de bleu.
Dans le blizzard, en ville, les formes se floutent, les batiments et les silouhêtes sont des aquarelles, la lumière se brise et coule le long des particules de glace dans l'air, pailleté.
Derrière la maion de Roda, la grande tante de Charlotte, c'est la fin du monde.
Lorsque le vent crie on est sur le point d'être soufflé avec ce qui reste de ce monde-là, si petit dans l'immensité de l'espace. Et nous continuons à marcher sur la frange instable du réel comme si c'éait normal. Le ciel prend toute la vision, il est l'autre partie de la terre. Il y a plus d'étoiles que ce que je n'en ait jamais vu.
Dans les légendes inuit, les aurores boréales sont des esprits jouant dans le ciel. Ils sont assez susceptibles et dangereux : les narguer en sifflant leur donne envie de se rapprocher tout prés et de vous couper la tête pour jouer avec! Pour les éloigner, taper des mains ou zipper sa fermeture éclair rapidement... En effet, tous les soirs de temps clair, lorsqu'il fait assez froid (moins de -20) on peut lever la tête et apercevoir ce qu'on pense être un nuage gris clair. Si on est patient et qu'on siffle assez longtemps, on peut avoir droit à une transformation du nuage gris en festival de lumière verte qui, je dois l'avouer, finit par nous entourer et se rapprocher assez bizarrement...c'est tellement immense et irréel que je comprend l'idée effrayante et lugubre qu'inspire ces gros machins à la fois compacts, à la fois transparents, qui bougent rapidement sans que l'on puisse le voir...
Et la nuit cesse lentement. Pas en heures, mais en plusieurs jours, qui remplace une aube infinie. Les notions de jour et de nuit n'ont plus vraiment de sens, et notre corps subit un décalage horaire incompréhensible, se callant sur la levée du jour qui ne vient pas. Et l'aube, magnifique, gigantesque, incroyable, s'étire en des millions de nuances de blanc. Etendu, diffusé, pailleté, cassé, déposé, dans des gradations de bleu, gris, jaunes, rose, rouge, mauves. Les couleurs sont si intenses et différentes que j'ai l'impression que l'oeil humain est limité. Le reste des couleurs doit attendre dans une autre dimension.
Lorsque le soleil apparaît enfin, il faut se mettre sur la pointe des pieds pour essayer d'en voir plus. Il joue avec la lune et l'horizon qques minutes et disparaît sans que nous puissions le voir en entier.
A chacune de ses apparitions je sors d'un rêve pour en vivre un autre, plus fort, plus intense.
Le ciel vient se refléter dans tous les reliefs, draperies, soufflets, poudre. La lumière est mon spectacle et le paysage se tranforme selon sa volonté. L'air, la neige et la lumière sont les seuls élèments du monde prenant toutes les formes et les couleurs possibles. Nous marchons tour à tour dans le brouillard blanc ou orange, dans des volutes de cristaux, dans un air sirupeux et bleu, dans un infini cristallin où on peut même apercevoir le bout de la banquise et la naissance de l'Océan, dans du lait argenté, dans une explosion apocalyptique...sans pour autant changer géographiquement de place.
Pour capturer tous ces moments, c'est une véritable expédition. Passer de l'intérieur vers l'extérieur prend une quinzaine de minutes pour sortir avec l'équipement. La caméra et le trépied possèdent leur propre manteau de fourrure. Rester une heure dehors devient un record de résistance, par rapport à la douleur que provoque le changement de température de nos doigts. Appuyer sur un bouton, déplier un trépied et faire le point prend 6 fois plus de temps et devient un challenge. Passé une demi-heure à une température de -30, les articulations du trépied et de la perche, ainsi que les cables de Claude gélent et cassent comme du verre. Il ne faut plus rien manipuler, et procéder par SAS et étapes lorsque nous rentrons, pour progressivement faire monter la température et baisser la condensation, même pour nous.
Qauppattau (pas d'aurevoir chez les inuit, seulement "on se voit demain!")
Jour 12 à Igloolik. Village de 1600 âmes dont 600 enfants, composé à 98 % d'inuit. (inuit : terme pluriel de « inuk » : « une personne humaine »). Igloolik est agrippée à une île entre le continent canadien et la Terre de Baffin, bien au dessus du cercle polaire. Le Nord du Canada est immense est infiniment peu habité, et quasiment uniquement par des autotochnes inuit. Ces régions polaires sont réparties, comme pour le reste du Canada, en plusieurs « provinces » (gouvernement propre) ou « territoires », comme le Québec par exemple. Igloolik appartient au Nunavut, sa capitale est Iqaluit. Le Nunavut possède son propre gouvernement depuis les années 80.
Nous assistons aux festivités du retour du soleil. La communauté se retrouve autour d'activités traditionnelles, pour marquer le coup et trancher avec la TV... Jeux avec des os, country food mangée à même le sol (phoque, caribou...), danse à tambour, danses carrées (danses irlandaises à l'accordéon amenées par les colons qui ont bien plu aux inuits!!!) Charlotte et Marie Pascale ont pu faire une petite démonstration de chant de gorge.
Je me sens un peu prisonnière de l'intérieur, quand sortir et être libre de ses mouvements devient si compliqué. Mais le film avance et nous sommes plus proches des gens, qui commencent à nous connaître, au contact de Charlotte. Ce qui nous laisse maintenant tourner quasiment plus qu'à l'intérieur. Elle nous présente sa famille, qui chez les inuit est très entendue. Avoir cinq enfants à 25 ans est courant, ainsi que d'être proche de sa famille éloignée, puisque tout le monde vit au même endroit. Dans la rue, nous rencontrons 3 de ses oncles, 6 de ses cousins, petits cousins, grande tante, belle sœur de l'oncle, femme du grand cousin, cousins adoptés...
Parce qu'ici, on peut être adopté dans toutes les maisons. Un père et une mère biologiques sont aussi importants que l'oncle, la grand mère ou le frère qui nous adopté sous son toit, et qui devient, même si la mère ou le père existe toujours, nos autres parents. On donne un enfant pour de multiples raisons, parfois parce qu'on en a trop! Et lorsqu'une personne meure, on peut continuer à faire vivre son âme et ses caractéristiques personnelles à travers un nouveau né en lui donnant son nom. Ainsi le fils de Charlotte est « son grand père ». Elle est aussi « la femme » de son oncle. Charlotte peut utiliser le mot « mon petit grand père » lorsqu 'elle parle de son fils. Elle est heureuse de voir son grand père dans son fils quand elle pense à lui.
Chaque personne est donc liée à sa famille et sa communauté par les liens du sang et/ou de l'adoption, et les liens du nom. Ce qui nous donne des migraines pour comprendre les relations entre les personnes de la même famille, souvent déjà très étendue.
Les anciens disent que l'axe de la Terre a bougé, parce que le soleil ne se lève plus au même endroit. Ils sont conscients du changement climatique parce que son effet est sensible ici : la glace recouvrait toute l'étendue de mer entre l'île d'Igloulik et la Terre de Baffin. Aujourd'hui il devient dangereux de s'aventurer au « fluedge » (la limite entre la glace et la mer) parce qu'on ne sait pas vraiment où elle finit. Le « fluedge » est aussi l'endroit où l'on chasse le phoque, la glace est plus mince et on peut les attraper au crochet ou au fusil dans les trous d'eau où ils viennent respirer.
Maintenant les traîneaux à chiens servent surtout aux courses, pour se divertir. Pour aller chasser le caribou, le phoque, les inuit prennent le skidoo et des fusils, bien plus adaptés. Cuit, le phoque est délicieux, et très gras, il a un goût de viande rouge parfumé au poisson. Mais cru et faisandé, j'ai même pas essayé! J'ai aussi gouté de la peau d'orque...ben...c'est pas très bon...dur à mastiquer, gélatineux. Le goût de la graisse reste des heures en bouche et l'estomac le digère bruyamment. Pendant les festivités, un phoque au complet est ouvert au milieu de la salle des fête, découpé et mangé cru, tel quel. Il est difficile pour nous de se sentir alléchées...
Les viandes et poissons composaient avant, toute l'alimentation des inuit. Elles se mangent sous toutes les formes : congelées, bouillies, en ragoût, frites...
Les inuit sont sur un moment charnière de leur histoire. Les blancs anglophones (« qallunat ») et les francophones (« ouioui »!) du siècle dernier n'ont bien sur pas oublié de réaliser leur petite inquisition ici. Adopter le Christ (oui nous nous sommes rendues à une messe dite en inuktitut!) sur la banquise est tellement inadapté! Par exemple, il est surement dur de se représenter l'arbre du péché alors qu'on a jamais vu d'arbre de sa vie!
L'obligation d'abandonner il y a trois générations, leur cultures, chants, langue, religion (pour un peuple de tradition historique orale!!) au profit du confort moderne n'est pas sans conséquences. L'alcoolisme et la malbouffe sont des nouveaux concepts que les inuit ne savent pas encore maitriser. La dépression et le suicide atteignent ici des taux anormalement élévés, alors que la famille et la communauté sont les pièces maitresses de la société.
Imaginez qu'on vous prenne et interdise tout se qui fait les fondements de votre vie. Vos chants et histoires (l'histoire inuit), votre maison (igloo), vos moyens de locomotion (une balle dans la tête des chiens à traineaux), vos « revenus »(fourrures et viandes doivent être troquées à un taux exorbitant). Qu'on vous retire la garde de vos enfants pour les mettre dans des écoles dont vous n'avez jamais entendu parler, qui sont bien plus loin que votre imagination ne peut concevoir. On apprendra aussi que les abus sur les enfants dans ces écoles ont été courants (les pensionnats).
On survit. C'est sur. Mais pas sans cicatrices sociales et psychologiques, sur plusieurs générations.
La grand mère de Charlotte vivait dans un igloo. La mère de Charlotte a été dans les pensionnats. Le dernier pensionnat a été fermé en 1995. Ce n 'est pas de l'histoire ancienne.
Pourtant les livres des blancs ne parlent pas de ce passage-là de l'histoire. Ou très peu. Quand Charlotte est allée dans « le sud » pour la première fois, elle avait 16 ans. Elle n'avait jamais vu d'arbre, ni de grande ville, ni des gens de toutes les couleurs. Quand on lui demandait d'où elle venait, elle répondait « du Nunavut ». La plupart des canadiens ne savaient pas où cela se situait...
Le kattajat, le chant de gorge, est un morceau de patrimoine des inuit. Il peut être un jeu ou sacré, mais il n'est pas pratiqué par tout le monde, mais surtout par les femmes. Sous forme de jeu, c'est une sorte de « je te tiens, tu me tiens... » en imitant les bruits des animaux et du vent, en canon.
Percus par les Qallunat comme des incantations sataniques, ils ont été interdits. La grand mère de Charlotte ne sait pas chanter, et ne veut pas en entendre parler. Charlotte, elle, renoue avec la tradition ancestrale. Marie va, en apprenant ce chant et avec ce film, tenter de réconcilier deux parties du canada, celle des inuit et celle des blancs, qui possèdent le même passeport canadien sans pour autant se connaître.
Celle qui a terrifiée l'autre veut maintenant apprendre à chanter.
"La ligne du Nangpaï Gossum, un rêve dangereux dans le royaume de personne"
EXPÉDITION DANS L'HUMALAYA NÉPALAIS, 2016.
Nous voilà donc rentrés à katmandou, après de centaines de kilomètres à pied sur les plus hauts chemins du monde, dans l'Himalaya.
Le but était de suivre 4 guides francais dans leur tentative d'ascension d'un sommet vierge de 7300m, le Nangpai Gossum.
Le sommet "à trois cornes" se dresse dans une vallée voisine de l'Everest, et comme la plupart de ses compères, il fait la frontière entre le Tibet et le Népal. Nous sommes restés 20 jours sur place au camp de base, au pied de la face à tenter, à 5200m, pour attendre un créneau météo favorable de qques jours leur permettant de faire l'ascension.
De Katmandou, il faut prendre un petit coucou à 15 places pour atteindre Lukla pendant une heure, la porte d'entrée de la célèbre vallée du Khumbu, qui acceuille des milliers de touristes venant se frotter à la randonnée la plus haute et la plus célèbre du monde : la marche vers le camp de base de l'Everest, jusqu'à 5200m , sans grimper la montagne, c'est déjà une sacré marche de 5 à 15 jours selon la forme et l'acclimatation des trekkers. L'acclimatation est la clef. Par exemple, passer du niveau de la mer à 4000 m directement et vous êtes surs que vous êtes bons pour un oedeme pulmonaire ou cérébral, mort assurée à 80%!
Il faut s'acclimater en douceur, le temps que le corps fabrique des globules rouges pour compenser le manque d'oxygène.(50% en moins!) Donc il faut marcher, et dormir à une altitude plus élevée chaque soir. Ca tombe bien, dans l'Himalaya, on a pas encore construit de routes...! Tout se fait à dos d'homme, de mule, ou de yak. Donc pour une expé comme celle la où on se déplace à 6 personnes pour grimper une montagne et filmer pour un mois, avec un cuisinier, un assistant et un guide, c'est à peu près une tonne de matériel qu'il faut déplacer. On loue alors des porteurs et des yaks.
Les paysages sont parmis les plus impressionnants que j'ai jamais vus. On passe de la jungle à la très haute montagne en quelques kilomètres...de hauteur. Quand une marche d'approche pour se rendre au glacier prend quelques heures dans les alpes, elle prend une semaine dans l'Himalaya. Les monstres de glace et de pierre vous dominent de 3 kilomètres de haut. Si vous avez regardé Avatar en 3d, alors vous avez peut etre une idée.... Marcher au niveau du ciel est un experience unique. La verticalité, le haut, le bas, les nuages se confondent dans l'immensité, et il n'y a pas que la sensation d'être minuscule. Il y a aussi celle que l'espace, l'univers, est tout proche, et qu'on est pas si loin de la Lune.
Si on est pas écrasé par l'immensité du paysage, alors on est envouté par la magie. Les temples, les stupas, les blocs de plusieurs tonnes gravés des mots sacrés "om mani padme um" à l'infini, sont éparpillés partout sur le chemin, comme si ils avaient toujours été là, comme si la terre avaient été créée en même temps qu'eux, et surtout, comme si c'était la chose la plus logique à faire que de rendre hommage aux esprits miséricordieux de la montagne.
Les drapeaux bouddhistes aux 5 couleurs sont étendus entre chaque flan de colline, acrochés au toits des maisons, tendus sur le sommet des montagnes et des cols, et en calquant au vent, répandent leurs prières silencieuses.
La proximité du ciel nous impose aussi des températures extrêmes (-15 deg la nuit, 5 à l'ombre, 30 au soleil...) et des brulures. L'altitude et l'acclimatation engendre des violents maux de tête, des vomissements, une grosse fatigue en plus des 6h de marche quotidiennes. L'état de mal des montagnes correspond à peu près à être soul tout en ayant déjà la gueule de bois...
Voici notre camp de base, devant la face du nangpai gossum tant convoité.
Notre quotidien au camp de base était long et encombrant. Se déplacer en doudoune tout le temps, dormir habillé, prendre des douches limitées tous les 4 jours, manger des patates et des pates, marcher en tongs dans la neige et le gel parce qu on a la flegme de mettre les grosses pour faire les 30m qui nous sépare de la tente mess ("le salon"), être essouflé en se mettant dans son duvet ou en se brossant les dents, boire les 5L d'eau obligatoires par jour et surtout...aller pisser la nuit!
A ceci, ajouter les tentatives des gars de s'acclimater au dessus de 5000m pour leur sommet, en réalisant d'autres sommets environnants de 6000m. Malheureusement, les conditions de beau temps ont joué en leur défaveur. La mousson ayant été inexistante et le soleil étant persistant, les montagnes étaient quasi vides de glace et de neige, se qu'ils recherchaient. Le seisme ayant remué un peu tout ça, les environs du camp de base étaient des moraines infinies de rochers et de chaos de blocs instables, la montagne devenait peu sure. Le bivouac d'une des tentatives d'ascension:
Petit à petit, leur objectif de base est devenu un rêve inaccessible ou du suicide. Matthieu D et Julien se sont rabattus sur une goulotte de glace bien conservée, en face nord de la montagne voisine. Matthieu M et Pierre ont voulu continuer à y croire, et sont allés bivouaquer au pied du Nangpai Gossum. Alors que nous nous engagions dans la moraine le 17 oct en fin d 'apres midi, sous la neige qui tombait finement, les compte rendus de la météo par téléphone sattelite continuaient d 'annoncer le mauvais temps pour les jours suivants. C'est avec regret que dans la nuit glaciale, Matthieu M et Pierre ont bifurqué vers la goulotte à leur tour, pour en réaliser l'ascension le lendemain, en 17h de grimpe.
Mattieu M, bien décu, ajoutera :"Nous étions partis pour traverser l'Atlantique, et nous avons fait le tour de la corse".
Pourtant nous avons un joli film à monter sur l'Histoire de l'alpinisme, sur l'inconnu restant encore à découvrir dans l'Himalaya, l'avenir des Alpes, où tout est plus compliqué et hardu. Sur la différence entre faire une voie normale sur l'Everest et ouvrir une voie technique sur un 7000. Sur la prise de décision, l'engagement et le rapport au risque. Nous allons démontrer que parfois entre la course ou la vie, les intelligents choisissent la vie.
Biensur, les images sont eu rendez vous. Yaks, glace, lumières apocalyptiques de fin de journée, vents décoiffant les 7000, vue sur l'everest...
Notre vallée débouchait sur le Nangpa La, un col historique de la route entre les deux pays, qui permettait l'échange de nombreuses denrées à dos de caravanes de yak, aujourd hui fermé par les chinois pour des vagues histoires religieuses qui ressemblent plutot à une vaste histoire de controle.
Le Népal est au tourisme du treck ce que l'Egypte est à la plongée, le pays vit principalement de ça, et le séisme ayant refroidi une bonne partie des touristes, cette année n'est pas très bonne. Pourtant les réactions ont été rapides et les maisons assez rapidement reconstruites pour les particuliers ayant les moyens. Les principaux problèmes sont venus du gouvernement, retenant une grande partie de l'argent dans la désorganisation. Sachez que la plupart des choses que vous avez envoyées au Népal sans adresse précises sont restées à l'aéroport de Katmandou....
Le sud du pays fait désordre aussi en ce moment pour des places à l'assemblée. Ils ont bloqué les arrivées de pétrole venant de l'inde (l'autre maitre du Népal apres la chine) et paralysent le pays (10 jours d'attente à la pompe pour 4e le litre!). Le Népal est une fois de plus obligé de renouer avec son tyran de voisin la Chine.
Il nous reste 3 jours avant de reprendre l'avion (si le pétrole arrive!) avec Clément, après une soirée arrosée dans les bars miteux de katmandou avec l'autre expé suisse et le célèbre ueli steck (la machine ayant réalisé en solo la face sud de l'annapurna en 28h par exemple). Demain on se détend, on loue des vélos et on va voir Bhaktapur, la célèbre cité médievale du 12eme siècle...